Par Néjib OUERGHI Par la conjugaison de toutes les bonnes volontés, la journée du 13 décembre 2011 fut tout simplement une journée ordinaire en Tunisie. Le spectre d'un nouveau jeudi noir a pu être évité, in extremis, à la faveur d'une décision à la fois grave et sage. En décidant l'annulation de la grève générale, qu'elle a décrétée une semaine auparavant, l'Ugtt a gagné sur tous les fronts. Son image et son crédit n'ont fait qu'augmenter. La force de la raison a triomphé sur la raison de la force. Incontestablement, l'intérêt de la Tunisie, sa stabilité, sa sécurité et son unité valent bien cet acte courageux qui est à la hauteur du poids et du rôle assumés, de tout temps, par cette Organisation nationale prestigieuse. En dépit du choc provoqué par l'agression subie par l'Ugtt, le jour même de la commémoration du 60e anniversaire de l'assassinat du leader syndicaliste Farhat Hached, de la grande mobilisation de la société civile et de son soutien à la centrale syndicale, l'Ugtt a fait montre d'un grand sens de la responsabilité et du devoir envers la patrie. Cette dernière s'est trouvée, encore une fois, confrontée à des menaces sérieuses pouvant hypothéquer le processus de sa transition vers la démocratie et tous les acquis dont les Tunisiens sont, aujourd'hui, fiers. L'émergence de l'ogre de la violence politique, du terrorisme, des signes de la discorde et de la division, parfois sous couvert du sacré, et la grande dérive du débat public, ont installé, lentement mais sûrement le pays dans une sorte d'anarchie. Résultat: au lieu et place d'orienter l'attention vers les questions de fond qui interpellent les Tunisiens, on a eu droit à des polémiques stériles qui ont davantage creusé les divergences, nourri la suspicion, voire le sentiment de haine entre les différentes catégories du peuple tunisien qui ont, pourtant, en partage la même religion et les mêmes valeurs sociétales. Le mérite de la crise qui a éclaté le 4 décembre dernier est d'avoir réussi à nous rappeler qu'il est encore possible de sauver le pays du chaos qui le menace par le dialogue, la concertation et le consensus. D'ailleurs, le dialogue et le consensus ont été, en quelque sorte, le talisman qui a transformé la peur et le doute ambiants en confiance et espoir. Pour cette raison, la décision d'annulation de la grève générale a été ressentie comme une délivrance et une preuve de la capacité de tous les protagonistes de transcender leurs différences et leurs divergences pour servir la Tunisie et rendre le rêve, suscité par la révolution du 14 janvier 2011, possible. Aujourd'hui, alors que le pire a été momentanément évité, la voie est balisée pour épargner au pays les soubresauts de nouvelles crises qui pourraient le plonger durablement dans la violence et les déchirements douloureux. Cela suppose, à l'évidence, de trouver les meilleurs traitements à tous les dangers qui guettent le pays, aux obstacles et difficultés qui continuent à saborder son développement et aux insuffisances et lacunes qui mettent à mal sa paix sociale. Cela suppose, également, de renforcer la confiance en construction, en chassant le doute, le flou et le manque de visibilité qui ont été, jusqu'ici, handicapants et pesants. Cela est d'autant plus vrai que la prochaine étape, dont les contours sont loin d'être définitivement tracés, sera ardue et exige, de la part de tous, de trouver des difficiles arbitrages sur les questions du régime politique, des droits fondamentaux devant garantir aux Tunisiens une citoyenneté pleine et active et du modèle de développement susceptible de fournir des réponses adéquates à des problématiques lancinantes. En effet, à la fragilité politique, sociale et économique dont souffre le pays, s'ajoute le risque terroriste qui menace sa sécurité et sa stabilité. La découverte d'armes et de munitions successivement à Jendouba et au Kef et d'un groupe terroriste armé à Kasserine vient compliquer davantage la donne d'un pays qui peine à retrouver ses repères et à se remettre au travail. Quelle image pourrait refléter un pays, dont la sécurité est souvent mise à mal par des groupes terroristes, aux investisseurs, aux opérateurs économiques ou aux touristes ? Sur ce front, le pays a beaucoup perdu en termes d'image et d'opportunités. Un effort colossal reste à accomplir pour restaurer la confiance, condition sine qua non pour permettre au pays de rebondir et de reconstruire un modèle de type nouveau. A cet effet, la dégradation, au courant de cette semaine, par l'agence de notation internationale Fitch Ratings de la note de la dette de la Tunisie à BB+, accompagnée de perspectives négatives, n'est pas pour arranger les choses, loin s'en faut. Résultat : notre pays bascule dans la catégorie des émetteurs d'emprunts spéculatifs à long terme. Cette appréciation négative du risque tunisien vient au mauvais moment. En dépit de l'amélioration relative de certains indicateurs, l'économie nationale continue à montrer des signes de faiblesse en termes d'aggravation du déficit commercial, d'envolée de l'inflation,de baisse des avoirs en devises, de financement de l'économie et de relance de l'investissement. Face à cette situation, très contrastée, aux plans politique, économique et social, la définition d'une feuille de route définitive et consensuelle sur les prochaines étapes se présente comme le meilleur signal à émettre pour ressusciter, de nouveau, l'intérêt pour la Tunisie , restaurer la confiance et créer une dynamique vertueuse de développement intégral et durable. Seule la bonne volonté permet de vaincre tous les obstacles qui se dressent. Car «Le pouvoir de tout modifier souverainement, dit W. Shakespeare, est dans notre volonté».