La décision de l'Ugtt de décréter la grève générale, jeudi prochain, continue à dominer le débat au sein du paysage politique et de la société civile nationaux et auprès des experts économiques. Ces derniers analysent la crise en partant du coût économique et social qu'aura la grève générale. Certains n'hésitent pas à avancer le chiffre faramineux de 700 millions de dinars de pertes pour l'économie du pays qu'engendrera la grève de jeudi prochain, alors que d'autres avancent le chiffre de 250 MD, sans oublier d'insister sur les conséquences néfastes et catastrophiques qui affecteront l'image de notre pays auprès des investisseurs étrangers et de ses partenaires, plus particulièrement l'Union européenne, dont plusieurs pays ne cessent de faire part de leur disposition à aider l'économie nationale à décoller, en cette étape aussi délicate que cruciale. Quant aux missions de conciliation et d'appel au retour à la table des négociations, elles ont démontré, quoiqu'elles aient échoué jusqu'ici, que la Tunisie n'a de solution que le dialogue, le compromis et au bout du compte le consensus. Comment les différents protagonistes de la vie politique nationale ainsi que les expets économiques appréhendent-ils cette problématique double : le coût économique et social de la grève générale si jamais elle aura lieu, jeudi 13 décembre d'une part et les missions de conciliation entreprises par les uns et les autres, en premier lieu celle conduite par le président provisoire de la République ? Une perte sèche de 250 millions de dinars Pour Ezzeddine Saïdane, expert économique, «le simple appel à une grève générale a un coût économique important du fait du message négatif qu'il communique. C'est la preuve que le dialogue est rompu». Notre expert poursuit : «Cette grève a un coût qui se compose de deux parties. D'abord, un coût direct qui se situe entre 200 et 250 MD de pertes. Quant au coût indirect, il est difficile à estimer mais il est certainement bien plus important que le coût direct. Une journée de grève générale comporte le risque du recours à la violence et affecte la perception et l'image de la Tunisie auprès des investisseurs tunisiens et étrangers et aussi auprès de nos partenaires économiques et financiers. Il est aussi essentiel de rappeler les raisons de la grève. En effet, toute forme de violence, quelle que soit son origine, a un coût économique et social. Tout retard au niveau de la transition démocratique a également son coût. Idem pour l'attaque contre l'ambassade américaine et contre les locaux de l'Ugtt. Cela veut dire que si par le dialogue et la recherche du consensus, nous arrivions à une annulation de cette grève, le coût serait remplacé par un gain significatif puisque ce serait une manière d'envoyer un message positif à destination de l'intérieur du pays et de l'extérieur et cela signifierait probablement un changement de cap sur la voie de la réalisation des objectifs de la révolution et du sauvetage de l'économie nationale». La voix de la raison doit prévaloir De son côté, Abdelwaheb El Héni, président du parti Al Majd, est convaincu «qu'au-delà de la querelle des chiffres entre experts, la grève générale aura un coût social et économique trop élevé, ainsi qu'un coût politique néfaste à l'image de la Tunisie post-révolutionnaire. Elle aura aussi des dégâts au niveau de l'unité nationale indispensable pour relever les défis. Elle donnera certainement un signe négatif aux investisseurs et aux pays étrangers qui suivent notre révolution de près et qui veulent nous aider». «Et c'est pour ces raisons, souligne-t-il, qu'il faut appeler à tout prix à l'apaisement et à un règlement pacifique du conflit opposant le gouvernement à l'Ugtt». Et les missions de bons offices ? «Elles semblent piétiner, rétorque notre interlocuteur, par l'annonce par Ahmed Ben Salah de l'échec de son initiative. Mais la voix de la raison doit prévaloir afin qu'on puisse éviter un déchirement national de plus. Pour ce qui est de l'initiative du Dr Marzouki, je pense qu'elle est basée sur des critères d'exclusion de beaucoup de partis politiques dont Al Majd qui appelle à l'apaisement et qui propose une feuille de route pour sortir de la crise. Le Dr Marzouki doit comprendre qu'il est le président de tous les Tunisiens et qu'il est dans l'obligation républicaine de consulter l'ensemble de la classe politique et non seulement ses alliés. Une présidence qui a agi de la sorte est incapable de trouver des solutions aux problèmes de l'heure. Au parti Al Majd, nous proposons une feuille de route sur la base des composantes suivantes : des excuses officielles d'Ennahdha à la direction de l'Ugtt, la dissolution des ligues de protection de la révolution en attendant que la justice décide de leur sort, la tenue d'une rencontre au sommet Abbassi-Jebali et la réactivation du Conseil économique et social en tant qu'institution consultative qui gère le dialogue social et prépare le compromis». La faute revient aux milices des LPR «Tout mouvement de protestation, toute grève, qu'elle soit générale, régionale ou sectorielle, a des conséquences néfastes aux plans économique et social», reconnaît Chokri Belaïd, coordinateur général du parti des Patriotes démocrates unifié. «Seulement, l'Ugtt a exercé, en annonçant la grève générale, un droit que lui garantissent la législation nationale et le droit international. Un droit que les syndicalistes ont exercé dans une position de défense de leur Organisation et de son autonomie», souligne-t-il. Volet coût social et économique, Chokri Belaïd est on ne peut plus clair et tranchant : «Ce sont les milices des ligues de protection de la révolution, apparentées à Ennahdha, qui en sont les responsables. Elles sont à l'origine de la tension et de l'absence de sécurité dans le pays et de la détérioration de l'image de la Tunisie à l'étranger. En les laissant libres de leurs mouvements, on ouvre la voie à la poursuite de la chute de notre économie et de la crise sociale». Comment arrêter l'escalade de la violence et revenir à la table des négociations? Le coordinateur général du Ppdu est catégorique : «Au sein de notre parti, nous sommes partisans du dialogue en tant que mécanisme incontournable en vue de résoudre les crises et les conflits. Seulement, dans l'affaire opposant l'Ugtt à Ennahdha, les choses sont claires et on n'a pas besoin de missions de bons offices ou de médiation de quiconque. A mon sens, le gouvernement se doit de suspendre immédiatement les activités des ligues de protection de la révolution et de transférer leurs dossiers à la justice en vue de les dissoudre». A propos de l'initiative prise par le président de la République provisoire en vue de rétablir le dialogue entre les différents protagonistes, Chokri Belaïd souligne : «C'est une initiative que je ne peux que respecter. Malheureusement, j'ai décliné son invitation pour la simple raison que je refuse de m'asseoir à la même table que le président d'Ennahdha qui continuait, le jour même de la rencontre au palais de Carthage, à faire des déclarations incendiaires incitant à la violence et à la haine et qui poursuivait également la défense des milices ainsi que l'attaque injuste des forces démocratiques».