« Vous avez volé nos richesses, ne volez pas notre révolution !» Le graffiti sur les murs de la ville en dit long sur les rêves et les désillusions de la région. Pour avoir produit la première étincelle de la révolution, les Bouzidiens espéraient être servis par quelques projets de développement, en attendant le décollage économique et l'équité sociale différés depuis des années. Mais du fond des terres nourricières, des commerces parallèles et des cafés enfumés d'une ville encore et toujours révoltée, monte, en ce 17 décembre 2012, la grogne contre le gouvernement : seuil de pauvreté creusé, taux de chômage multiplié, infrastructures économiques et industrielles au point zéro, terres hypothéquées, agriculture déprimée... Le tout dans le sillage d'une corruption aggravée par la disparition des mécanismes de contrôle et l'affaiblissement de l'autorité de l'Etat. En l'absence d'une vision économique claire et d'une écoute régulière de la part des autorités régionales, les Bouzidiens partagent le sentiment d'être «sanctionnés pour avoir massivement élu un parti autre que ceux qui tiennent le pouvoir aujourd'hui». Promesses non tenues, attentes déçues, crise de confiance, la relation des Bouzidiens avec la politique s'en est ressentie. Beaucoup pensent qu'ils ne seront pas aussi nombreux à aller voter qu'à la première fois. Pour d'autres, l'heure est aux nouveaux ralliements et aux changements de camp. (Lire carte politique). Sur la place Mohamed-Bouazizi, le camp des chômeurs diplômés en sit-in ouvert ressasse inlassablement le sacrifice initial. En face, dans le siège du gouvernorat, le temps semble s'être arrêté. Après le départ de trois de ses prédécesseurs, le gouverneur en place depuis octobre 2012 prend le temps comme il vient : «Mon rôle s'arrête à garantir le climat consensuel favorable aux grands projets. 4.470 mille dinars attendent d'être dépensés avant les élections. Mais il manque à la région la visibilité et surtout la culture et l'expertise des grands projets», explique Tlijani Amara, un technocrate de 45 ans. Ici, le temps des autorités est en décalage avec le rythme de l'effervescence citoyenne. Depuis la révolution, individus et associations, hommes d'affaires et étudiants, chômeurs et retraités bouillonnent de projets, de stratégies et d'une énergie créatrice, qui ne trouvent nul écho dans les couloirs d'une administration minée par les lourdeurs et la stagnation. «Il faudrait décentraliser la prise de décision et donner plus de latitude à la gouvernance locale», nous dit Rachid Fetini, responsable du centre d'affaires. «Pourquoi ne pas offrir aux investisseurs qui sont intéressés par le centre-ouest et le sud-ouest des avantages fiscaux spécifiques. Appelons-les les avantages des villes de la révolution ?», ajoute cet homme, qui a fait du développement de sa région une raison d'être. Sidi Bouzid qui, le 17 décembre 2010 a passé le témoin de la révolution à la Tunisie, attend, deux ans après, de lui montrer de nouveau le chemin : révolutionner en profondeur les modes de gouvernance régionale, de gestion et d'administration de l'agriculture et des grands projets.