En pleines vacances d'hiver, le rythme des cours particuliers à domicile dispensés aux élèves s'accélère. Du primaire à la terminale. En groupe ou individuellement. Légalement et... illégalement. Et une fourchette de prix... Face au «diktat» du soutien scolaire, les parents ont-ils l'embarras du choix? Depuis le premier jour des vacances, Eya se lève de bonne heure. Elle prend son petit déjeuner à la hâte, enfile son sac à dos et emprunte une direction, la même depuis deux ans. Le domicile de son professeur «particulier» de mathématiques est à quinze minutes de marche. «De quoi se rafraîchir la mémoire», lance-t-elle amusée... L'élève en neuvième année de l'enseignement de base ne regrette ni la grasse matinée ni les jeux passés en boucle à la télé : «Je prépare les cours du prochain trimestre. Je veux aller plus vite que les autres», confie-t-elle... Son ultime objectif étant de décrocher une place dans un lycée pilote, elle est catégorique : «Les vacances, les vraies, pas avant l'été...». Une réglementation en suspens En attendant la saison estivale, les parents de Eya et de centaines d'autres élèves se plient à l'une des exigences de l'enseignement, du primaire au secondaire, que nous appelons dans notre jargon «l'étude». «Sans les cours particuliers, il ne faut pas rêver, l'élève n'aura jamais de bonnes notes». Amel Rjeb, parente d'élèves en huitième et deuxième année, se soumet à cette nouvelle réalité. Elle, qui n'a jamais fait de cours particuliers pendant toute sa scolarité et qui «révisait sans l'aide de personne», rappelle que ces cours, dispensés à titre privé, étaient bien l'apanage d'une certaine frange de la société... Elle concède: «Le système éducatif a complètement changé, les cours donnés en classe doivent désormais s'accompagner impérativement d'un soutien scolaire. Comme si les explications en classe étaient insuffisantes pour bien assimiler la leçon»... Les cours particuliers à domicile sont réglementés depuis plusieurs années déjà. Le ministère de l'Education n'a de cesse de rappeler à travers des circulaires envoyées au corps éducatif les modalités et les règles à suivre en cas de prise en charge des élèves, en dehors de l'école. Ainsi, les professeurs n'ont pas le droit de donner des cours privés à leurs propres élèves à domicile. Le nombre d'élèves par groupe doit être limité. Le nombre d'heures aussi. Les conditions d'hygiène doivent être conformes et l'éthique doit être respectée... Des parents, des syndicalistes et des pédagogues ont depuis quelques années attiré l'attention, de différentes manières, sur une activité pédagogique qu'ils estiment mal gérée, voire contraire à la loi pour certains cas. On pensait que le problème allait être réglé et les dérapages maîtrisés. Les cours particuliers suivent néanmoins leur chemin et rien ne semble dissuader une pratique bien ancrée. Il faut bien le reconnaître: la demande se fait toujours pressante de la part des parents eux-mêmes. Souad R, enseignante de français, affirme recevoir la visite de parents au lycée. Ils la «supplient pour qu'elle donne des cours supplémentaires à leurs enfants». On lui accorde même le choix de l'endroit: soit chez eux, soit chez elle. Elle dit respecter à la lettre la déontologie, ne donne jamais de cours particuliers à ses élèves à l'extérieur et se rappelle toujours l'histoire de ce collègue, qui, pris en flagrant délit, a été sanctionné. Elle confirme que «le gain d'argent est à l'origine de tous les dépassements». 240 dinars par mois : c'est la somme que Moufida dépense en cours particuliers dispensés à sa fille unique, élève en huitième année. Elle affirme en revanche que cet argent est le meilleur investissement. «Je n'accepterai en aucun cas que le niveau de ma fille soit médiocre...». Elle confirme au passage que tous ceux qui font l'étude reçoivent généralement une bonne note : «Certains professeurs donnent un aperçu de l'examen à subir en classe pendant le cours particulier; les élèves ne risquent donc pas de mauvaises surprises». Elle dit s'opposer à ce comportement «discriminatoire». Et, d'ajouter : «Ceux qui ne font pas les cours particuliers sont souvent dépassés en classe». «La priorité au futur bachelier» Les tarifs des cours particuliers varient selon le niveau de classe, la matière, le cœfficient et le professeur. Ce qui désole Montacer. La quarantaine révolue, père de trois enfants, il ne cache pas qu'avec la flambée des prix des denrées alimentaires, il n'arrive plus à maintenir le rythme des années précédentes. Seul l'aîné, élève en terminale, bénéficie, de cours particuliers cette année. «Je verse deux cents dinars chaque mois, c'est déjà une grosse somme. Les tarifs sont abusifs mais je n'ai pas le choix». La séance individuelle étant facturée parfois au-delà de 70 D l'heure, c'est une «manne» pour le professeur et un «désastre économique» pour le parent de l'élève. Le père de famille dit prendre en charge ses deux autres enfants en matière de révision et se fait aider par les manuels parascolaires... «Certes la démarche pédagogique n'est pas la même que celle de l'enseignant mais la priorité est accordée au futur bachelier», lance-t-il sur un air résigné. Les matières à cœfficient 4 échappent rarement au «diktat» du soutien scolaire comme le souligne Maha, mère de deux lycéens. Tout en reconnaissant l'utilité de ce coup de main pédagogique, elle déplore que certains enseignants intimident l'élève pour l'obliger à suivre les cours particuliers. Elle reproche aussi à certains d'entre eux le fait qu'ils ne reprennent jamais la leçon une fois leur programme terminé, «pourquoi ne pas demander à l'élève ce qu'il n'a pas bien compris pendant le trimestre? Faut-il toujours que les cours particuliers soient le meilleur moyen pour réexpliquer la leçon?». Des cours dispensés en groupe de deux, de quatre, de cinq... ou individuellement. Le cours donné à titre individuel coûte généralement plus cher. Et non sans raison : Yassine, élève en neuvième année, suit des cours de mathématiques au domicile d'un «très bon» professeur à la retraite. Il est cependant découragé. Il affirme que la séance se passe très mal. «Je fais partie d'un groupe de cinq élèves et nous ne sommes pas tous du même niveau. On bavarde et j'ai du mal à me concentrer». Yassine est déjà à la recherche d'un nouveau professeur. Ce ne sont pas les offres qui manquent : sur les colonnes de journaux, sur des papiers collés un peu partout dans la rue, sur internet et même sur Facebook, les offres pullulent... «Il faut faire très attention en choisissant un professeur à domicile, lance Maha. Selon elle, il est important de se renseigner sur son niveau, ses aptitudes,... Certains se font passer pour de bons pédagogues alors qu'ils ne le sont pas du tout. Les cours particuliers sont déjà un mal nécessaire et il ne faut pas que ça tourne mal...».