Par Hamma HANACHI Nous sommes à Bagdad au IXe siècle sous le règne d'Al Ma'mûn, un prince éclairé (qui régna de 813 à 833), fils de Haroun Errachid. C'est le sujet, abordé par André Miquel, dans l'émission Culture d'Islam de Abdewahab Meddeb (France Culture). André Miquel, historien, géographe, spécialiste de la littérature arabe, poète, traducteur des plus beaux textes (Les mille et une nuits, Kaïs, le fou de Leïla), connu principalement pour ses travaux sur l'espace arabe (La géographie des Arabes en 4 tomes), il développe à propos de son dernier ouvrage Les entretiens de Bagdad (Bayard-août-2012), le siècle d'El Ma'mûn auquel il dit vouer une admiration effrénée, il remonte avec délectation le fleuve de l'Histoire et nous plonge dans une capitale heureuse où la raison est souveraine, l'une des villes les plus peuplées au monde ( près d'un million d'habitants, alors que Paris, à titre d'exemple, comptait moins de cent mille). L'ouvrage est composé d'une série de dialogues entre Al Ma'mûn et des sages interlocuteurs de différentes disciplines autour de sujets divers tels la religion, l'amour, la foi et la raison, l'agronomie, l'hydraulique, l'exercice du pouvoir, la musique, la peinture, la calligraphie, la sexualité, les textes sacrés, les sciences et bien d'autres thèmes en lien avec la vie sociale, cosmologique, religieuse ou domestique. Un chapitre sur le statut de la femme. Elle s'appelle Tawaddûd, classée parmi les concubines, mais avec un statut spécial, elle a beaucoup de choses à dire, fille cultivée, de belle vie, joyeuse, lettrée, savante qui confond les poètes, les historiens, les musiciens, les géographes et autres mathématiciens. Une sorte de geisha avant que ce terme ne prenne une connotation triviale. Elle tient salon, comme on dira, quelques siècles plus tard en Occident. Dissertations, logique, grammaire, mathématiques, Tawaddûd, savait tout, répondait, développait. C'est dire la place de la femme sous le règne de Ma'mûn. Les entretiens de Bagdad décrit une ville dynamique qui brille par sa gaïté lumineuse, la qualité de son urbanisme, ouverte sur les étrangers d'Iran et d'Inde, fascinante par ses idées progressistes. Bref, une ville où la culture tient le beau rôle. Sur la tolérance, André Miquel évoque les mœurs du calife qui, pendant les cérémonies officielles, était toujours accompagné du patron des chrétiens et du rabbin. Il discutait avec les chrétiens et les juifs sur Dieu, l'amour... Pour lui, en somme, la foi doit aller avec la raison (naissance de Mûtazalites). Sur l'intolérance, onze siècles plus tard, fin novembre à Tunis. L'imam de la mosquée de Radès exprime sa haine des juifs et appelle à les détruire, quelques jours avant la Saint- Sylvestre, dans un prêche, Tahar Ben Hassine, prédicateur salafiste (client des plateaux télé) émet une fatwa interdisant aux musulmans de fêter la fin de l'année. Ceux des commerçants musulmans vendant les bûches et les gâteaux risquaient de voir leurs magasins attaqués par ses partisans. Crise oblige, les citoyens profitent sans compter, avant qu'il ne soit tard, ils se sont rués sur les gâteaux. La culture de nos jours traverse un mauvais passage, malmenée. Les acteurs culturels ont été surpris, outrés, blessés par l'humiliation que viennent de leur réserver les élus de l'ANC. Déjà qu'ils vivent dans un climat déplorable, de disette et temps de crise, mal à l'aise, passant par des périodes dangereuses, attaques et menaces de mort, le budget du ministère de tutelle a été amputé de moitié. Pendant ce temps, celui de la Présidence de la République passe pour être le plus élevé de l'histoire du pays et inévitablement le budget de l'Assemblée nationale constituante a été substantiellement augmenté (on n'est jamais mieux servi...). Ce qui nous donne une idée que se font nos élus, de la révolution. Il faut croire qu'ils font peu de cas de la culture, leur manquerait-il un revolver pour mieux exprimer leur allergie au mot « culture» ? °°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°° Vœux. Fin 2012, on respire, nous avons échappé à la fin du monde annoncée tambour battant, nous sommes miraculés. Avec beaucoup d'optimisme, d'utopie ? Sans fanatisme ni violences, nous aurons, qui sait, de belles années devant nous. 2013 sera l'année du bicentenaire de Verdi, le concert du jour de l'an (ARTE) lui a été consacré à la Fenice de Venise. Au programme La Traviata, et Nabucco, chef d'orchestre John Eliot Gardiner. 2013, on célèbre le centenaire de la naissance d'Albert Camus (France Culture a ouvert le bal avec Jean Daniel).Conférences, entretiens et parutions sont prévus. On y reviendra, c'est un devoir doublé de plaisir.