Par Abdelhamid GMATI La situation qui prévalait dans notre pays l'année passée perdure et se poursuit en ce début 2013. La Constituante ne se préoccupe pas de la Constitution ni de la préparation des prochaines élections et se complaît dans l'absentéisme des élus et les débats et discussions byzantines de questions de moindre importance. L'économie ne se relève toujours pas ; les manifestations, les grèves et les «journées de la colère» sont toujours de mise comme à Kasserine et à Redeyef; la vie politique ne se débloque pas et on se perd dans les spéculations relatives au remaniement ministériel ; et on amuse la galerie en ressortant «les affaires». Après la ridicule et inexistante arrestation de Sakhr El Materi aux Seychelles, on nous a occupés avec le prix décerné à Saïda Agrebi qui a quitté tranquillement la Turquie avant de risquer l'extradition. Et ce qui focalise l'attention générale ces jours-ci est cette affaire dite du «Sheratongate». Une jeune blogueuse, Olfa Riahi, inconnue jusque-là, révèle les dépenses engagées par notre ministre des Affaires étrangères à l'hôtel Sheraton où il aurait aussi invité une femme, laissant entendre qu'il utiliserait les deniers de son ministère à des fins personnelles. et injustifiées. Puis elle indique, en affirmant détenir, là aussi, des preuves irréfutables, qu'un virement d'un million de dollars aurait été versé par le ministère chinois du Commerce dans un compte au nom du ministère des Affaires étrangères sans passer par le ministère des Finances comme le stipule la loi. L'intéressée se défend d'avoir porté des accusations et affirme n'avoir fait que rapporter des faits avérés par son enquête d'investigation. Les réactions les plus virulentes n'ont pas tardé. Le gouvernement et le mouvement Ennahdha ont été les premiers à défendre le ministre des AE. La jeune femme s'est fait traiter de tous les noms et accuser d'avoir appartenu au RCD, d'être au service du Mossad israélien, de Kamel Letaïf, d'avoir été manipulée par un parti politique tunisien membre de la Troïka au pouvoir, et même «de femme de mauvaise vie». Un avocat proche d'Ennahdha a porté 2 plaintes contre elle ; le chef d'Ennahdha l'a accusée de poursuivre des motifs politiques, et préconisé d'infliger 80 coups de fouet à quiconque colporterait de fausses nouvelles; le ministre incriminé, qui avait pourtant reconnu les faits, a chargé des avocats londoniens pour poursuivre en justice les médias arabes et étrangers qui l'auront diffamé. Au lieu de se justifier, car jusqu'ici il est innocent car non condamné par la justice, il veut faire taire les journalistes. Pourtant, un dirigeant de son mouvement islamiste a déclaré que le ministre avait «resquillé», ne disposant pas de domicile à l'époque des faits et qu'il n'était pas le seul dans cette situation, Ameur Laârayedh, Houcine Jaziri et Fethi Ayadi ayant fait la même chose. Plaintes et contre-plaintes se succèdent dans cette affaire. Comme toujours, au lieu de se préoccuper du message, on s'en prend au messager. On ne s'intéresse pas aux révélations de cette enquête d'investigation, mais on en veut à Olfa Riahi de les avoir rendues publiques. La guerre contre les médias continue. Comme lors de la dictature, les gouvernants actuels veulent des médias aux ordres, élogieux et surtout silencieux sur les réalités du pays. Faire taire les médias, c'est priver le citoyen de son droit à une information de qualité ne cachant rien des réalités qui le concernent. Heureusement, une enquête officielle a été annoncée. Attendons donc sereinement ses conclusions. Autre affaire qui fait couler beaucoup d'encre et de salive, celle de Sami Fehri, détenu depuis plus de 4 mois sans aucun jugement et malgré une décision de la Cour de cassation annulant son incarcération. Mieux encore : des ex-responsables de la Télévision nationale, impliqués dans la même affaire de corruption et de malversation financière, ont été incarcérés, également sans jugement. Pourtant, plusieurs d'entre eux, y compris Sami Fehri, avaient été entendus par la justice et laissés en liberté. N'anticipons pas et laissons la justice suivre son cours. Mais on pourrait se poser des questions sur certains jugements : la cour d'appel au Tribunal militaire a multiplié par trois (un an de prison avec sursis) la peine de Ayoub Messaoudi, ancien conseiller du président de la République et qui avait été condamné en première instance à 4 mois de prison avec sursis, et ce, pour avoir fait des déclarations «portant atteinte au moral de l'armée». Il n'avait fait que reprocher aux dirigeants militaires de n'avoir pas informé le président d'une affaire importante, relevant de ses attributions; un des principaux dirigeants djihadistes impliqués dans l'attaque de l'ambassade américaine, affaire autrement plus grave, a été remis en liberté; la peine du salafiste Abou Ayoub, impliqué dans les événements de Jendouba et dans l'attaque de l'ambassade américaine, a été réduite à 4 mois de prison ferme alors qu'il avait été condamné à un an de prison. On pourrait en citer d'autres qui prêtent à questionnement. Faut-il dire, comme l'a déclaré la présidente des magistrats, que «l'état de la magistrature est catastrophique» ? Nous nous contenterons de rappeler que «la présomption d'innocence est le principe selon lequel toute personne qui se voit reprocher une infraction est réputée innocente tant que sa culpabilité n'a pas été légalement établie».