Par Dr M.A BOUHADIBA Nous avons en Tunisie la chance d'avoir deux des cent plus grands penseurs du monde. Cette chance est d'autant plus grande que ces deux penseurs sont ceux qui dirigent le pays. Pourtant, cela ne nous a pas épargné une transition vers la démocratie, chaotique, troublée par les divisions, les confrontations, le dialogue de sourds et la violence. Il semblerait que nos penseurs ne maîtrisent pas assez le processus de transition et qu'ils n'ont toujours pas trouvé les solutions pacifiques. La démocratie en soi n'est pas un but, c'est un moyen pour une vie meilleure. Que ferions-nous d'une démocratie instable comme au Pakistan ou au Koweït ? Ce que nous voulons, c'est la stabilité et la prospérité. John Nash, le prix Nobel d'économie, mit au point la théorie du jeu (the Game Theory) que tous les économistes connaissent et pour laquelle toutes les grandes institutions réservent un service entier. Elle est utilisée pour développer des stratégies dans les salles de marchés ou lors des fusions-acquisitions. Cette stratégie est basée sur l'interdépendance, étudie les comportements et permet à chacun de choisir sa meilleure stratégie en sachant que les autres en feront autant. Cela entraîne en général une convergence vers une solution médiane où tout le monde retire un bénéfice. Très vite, cette stratégie s'est appliquée à d'autres domaines, ainsi par exemple toute la stratégie de dissuasion nucléaire américaine est basée là-dessus. Pour ce qui nous intéresse, cette théorie a été utilisée en politique et plus particulièrement avec grand succès pour définir les règles et les lignes directrices de la transition démocratique d'un pays. Se servir de cette théorie permet d'étudier et de réaliser un équilibre où les différents acteurs se rendent compte qu'ils ont plus à gagner sur le long terme plutôt que le court terme, que tricher ne paie pas et que la violence a un coût prohibitif, bref tous les acteurs comprennent que le seul vrai bénéfice c'est le compromis. Nos deux penseurs pourraient s'en inspirer car il est urgent qu'ils trouvent des solutions qui satisfassent tout le monde, les pauvres, les riches, les hommes, les femmes, les différents partis, les institutions, etc. Aller à Saint James Square à Londres pour recevoir le prix de l'Institut des affaires étrangères, porter des toasts et serrer la main du prince Charles, c'est bien, mais n'oublions pas que ce prix a été donné pour construire un monde où régneraient la sécurité et la prospérité. Comment construiraient-ils ce monde s'ils ne peuvent même pas trouver les solutions pour leur propre pays. C'est une lourde responsabilité, à la mesure de leur grands esprits, mais il vaut mieux y croire pour éviter au pays d'aller à vau-l'eau et espérer ne jamais faire comme Rodin qui avait appelé son célèbre penseur: «Les portes de l'enfer».