Depuis la chute du régime policier de Ben Ali, le concept de justice transitionnelle a commencé à émerger et à se «démocratiser», portant avec lui l'espoir de milliers, voire de millions de gens (les statistiques étant complètement absentes) qui ont subi les foudres des deux régimes dictatoriaux, parce qu'ils ont osé, de façon parfois inconsciente, sortir du cadre tracé par les architectes de la répression. Deux ans après, l'impatience de ces victimes se fait de plus en plus sentir, c'est ce qu'affirme Kamel Gharbi dans une conférence de presse organisée hier par le réseau tunisien pour la justice transitionnelle (Rtjt) dont il est le président et porte-parole. «Les Tunisiens ont suffisamment attendu l'activation de la justice transitionnelle, il faut donc que l'année 2013 soit l'année du véritable démarrage du processus de justice transitionnelle», déclare-t-il. Sortir des débats théoriques et académiques autour de la question de la justice transitionnelle, replacer la victime au cœur du processus, et placer de côté tout clivage idéologique dans le traitement de ce processus, ont été des éléments sur lesquels ont insisté les différents intervenants au cours de cette conférence de presse. Rappelons que le Rtjt, qui regroupe 13 associations, a participé aux côtés d'autres acteurs aux travaux de la commission technique ayant accouché d'un projet de loi sur la justice transitionnelle prévoyant notamment la création d'une instance indépendante, baptisée «comité de la vérité et de la dignité». «La commission technique a réuni différentes associations, ayant clairement des tendances politiques divergentes et ont, par le dialogue, abouti à l'élaboration d'un projet de loi sur la justice transitionnelle, nous espérons que l'ANC, dans le traitement de ce projet de loi, se montrera tout aussi mature que nous l'avons été», appelle Kamel Gharbi. Dans une anticipation intelligente et somme toute plausible, il met en garde les 13 membres qui composerons le comité «vérité et dignité» contre d'éventuels pressions et tentatives de corruption qui ne manqueront pas de faire irruption dans leurs travaux. Lors de cette conférence de presse deux projets qui viennent en soutien au processus de transition démocratique ont été présentés, il s'agit de celui initié par le «Centre de citoyenneté et de démocratie» et celui porté par l'association «Dignité pour le prisonnier politique». Une cartographie des violations Pierre angulaire d'une transition démocratique crédible, la justice transitionnelle ne doit en aucun cas être hasardeuse ou approximative. C'est à partir de cette analyse que le Centre de citoyenneté et de démocratie, conduit par Salah Hashem, a choisi une approche scientifique pour le traitement de la question de la justice transitionnelle. Le projet consiste en une sorte d'état des lieux sur la nature des violations aux droits fondamentaux subits par les hommes et les femmes depuis l'indépendance jusqu'à nos jours. «Les violations subies depuis l'indépendance sont de deux sortes : il y a ceux qui ont été victimes de crimes sur leur intégrité physique, mais il y a également des régions toutes entières qui ont été privées de leurs droits économiques», précise Salah Hashem. Avec la participation de 23 gouvernorats, l'objectif est de dégager les principales attentes des victimes, qui restent pour le moment peu connues. Dans les 24 gouvernorats, l'association tentera de réunir les victimes de crimes de la part des anciens régimes afin de les écouter et déterminer leurs attentes. Une fois réunis, les témoignages seront traités statistiquement dans le but d'obtenir une cartographie, permettant d'effectuer des statistiques fiables sur le nombre des exactions, leur répartition géographique, mais également leur répartition par le genre et les tranches d'âge. Enfin, un rapport final sera présenté à l'opinion publique et aux autorités concernées. Un travail qui sera vraisemblablement long mais très utile pour la suite du processus. Nabeul : la femme particulièrement visée par la répression Selon les enquêtes de terrain faites par certaines associations, il s'avère que le gouvernorat de Nabeul a été celui dont la répression à l'égard des femmes a été particulièrement dure, surtout pendant les années 1990. De prochaines enquêtes donneront peut-être plus d'explications à ce phénomène observé à Nabeul. En attendant, l'association «Dignité pour le prisonnier politique» se propose, dans le cadre de son projet qui durera une année, de «réhabiliter psychologiquement un groupe de femmes victimes de la tyrannie», de sensibiliser ces femmes quant à leurs droits, mais aussi et surtout de réinsérer socialement ces femmes dont l'avenir a été confisqué par l'humiliation et la torture. D'un autre côté, et sous l'apparente harmonie, les différents intervenant n'ont pas manqué de critiquer les imperfections du projet de loi sur la transition démocratique qu'ils ont eux-mêmes contribué à rédiger. «Le processus de justice transitionnelle est un processus qui ne se répétera pas deux fois, nous avons intérêt à ne pas le rater», déclare Kamel Gharbi Le chemin est donc long et extrêmement périlleux, il prendra selon les observateurs entre 4 et 5 ans, après lesquels nous espérons enfin tourner une page noire de l'histoire de la Tunisie et nous focaliser sur un futur où l'opinion ne sera plus punie par aucune autorité et sous aucun prétexte