Par Hmida Ben Romdhane Israël ne peut plus attendre. Ce pays a perdu patience concernant la question du nucléaire iranien et a envoyé, mardi dernier, son ministre des Finances, Yuval Steinitz, à Washington, pour exiger non seulement que les Etats-Unis envahissent l'Iran, mais qu'ils donnent aussi à Israël la date précise de cette invasion. Pour récapituler, voici donc un pays de six millions d'habitants, détenteurs de deux cents têtes nucléaires, qui exige de la plus grande puissance du monde d'envahir un pays de 70 millions d'habitants et d'un million et demi de kilomètres carrés parce qu'il est soupçonné de vouloir construire une arme nucléaire qu'Israël avait déjà construite il y a près d'un demi-siècle... En attendant la promesse d'invasion et sa date précise de la part d'Obama, le ministre des Finances israélien a eu la présence d'esprit de rendre visite à son homologue américain pour le presser de «colmater les brèches» dans le système des sanctions infligées à l'Iran, afin d'asphyxier un peu plus l'économie iranienne déjà au bord de l'étouffement. Il est à remarquer ici que la visite de Yuval Steinitz à Washington est intervenue le jour même où Obama a nommé au poste de chef du Pentagone, Chuck Hagel, un sénateur respectable, mais qui n'est pas en odeur de sainteté au Likoud, parce qu'il a osé défendre pendant sa carrière parlementaire les intérêts de son pays avant ceux d'Israël. Interrogé par la presse américaine sur le choix du jour de sa visite à Washington qui se trouve être celui où Obama devait nommer Chuck Hagel au Pentagone, Steinitz a répondu qu'il «s'agit là d'une simple coïncidence». Pressé de commenter cette nomination, le ministre israélien a eu cette réponse hilarante «Nous n'avons pas pour habitude d'interférer dans les affaires intérieures des autres démocraties» !! Pourtant les journalistes américains ne peuvent ignorer «la préoccupation et l'inquiétude» exprimées par le Likoud, le parti de Steinitz, concernant la décision d'Obama de remplacer Leon Panetta par Chuck Hagel... Alors que son ministre des Finances tentait de convaincre les journalistes américains sur la haute moralité et la stricte neutralité d'Israël qui n'a jamais interféré dans la politique des Etats-Unis ou de n'importe quelle autre démocratie, Netanyahu publie un communiqué dans lequel il affirme qu'«il est dans l'intérêt d'Israël que l'invasion de l'Iran se fasse dans les prochains mois». Il ajoute que «le vrai danger qui menace le monde ne vient pas de la construction de logements à Jérusalem (allusion à la récente décision, universellement condamnée, d'intensifier la colonisation de la ville sainte), mais des armes nucléaires en Iran et des armes chimiques en Syrie». Au delà de cet incroyable cynisme, guère étonnant du reste de la part de Netanyahu et de ses amis du Likoud, il convient de se demander pourquoi la machine de propagande israélienne a-t-elle choisi cette période précise pour intensifier la campagne anti-iranienne au point d'exiger non plus un simple bombardement des sites nucléaire iraniens, mais carrément une invasion avec une date précise ? Il faut dire que Netanyahu et son gouvernement passent par une crise qu'Israël a rarement connue dans son histoire. Une conjonction de facteurs dont un immense budget militaire, des dépenses faramineuses pour la construction de colonies et une politique fiscale favorable aux riches font que l'Etat israélien soit au bord du gouffre financier. Des trous béants dans le budget de l'Etat de plusieurs dizaines de milliards de shekels (1 dollar vaut environ 4 shekels), sans parler de l'économie qui menace de sombrer dans la récession. Mais le problème immédiat de Netanyahu est le refus du Knesset de voter le budget de 2013, ce qui l'a amené à appeler pour des élections anticipées prévues pour la fin de ce mois, alors que l'échéance normale est en novembre 2013. L'incapacité de Netanyahu d'obtenir l'approbation du budget de l'Etat s'explique par le déficit vertigineux qui ne peut être comblé que par une augmentation substantielle des impôts et une réduction brutale des dépenses sociales. Les membres du Knesset actuel ayant refusé de devenir impopulaires pour faire plaisir à Netanyahu, celui-ci a donc appelé à des élections anticipées. Va-t-il avoir à la fin de ce mois une meilleure composition du Knesset de manière à voir son budget voté ? Il s'y emploie en tout cas en se faisant, comme d'habitude, le champion et le garant de la sécurité des Israéliens. Ceux-ci, dans leur grande majorité et grâce à un matraquage et à un lavage de cerveau en règle, se sont laissés convaincre depuis longtemps que le danger ne provient pas de la politique de colonisation et de l'interférence de Tel Aviv dans le processus de décision des grandes puissances, mais des Arabes qui «détestent la paix» et des Iraniens qui veulent «détruire Israël». Ce n'est donc pas étonnant que la campagne électorale de Netanyahu ignore superbement tous les problèmes économiques et budgétaires d'Israël, et mette plutôt l'accent sur la «sécurité» qui, dans la logique des gouvernants d'Israël, ne pourra être assurée que par l'intensification de la colonisation des terres palestiniennes et par l'arrêt du programme nucléaire iranien. Sur ce dernier sujet, les stratèges de la campagne électorale ont inventé le thème de l' « invasion de l'Iran » suivie du sous-thème de « la date » dans le but évident de frapper l'imagination de l'électeur et l'inciter à faire le choix de Netanyahu, s'il veut voir l'Iran envahi et le danger qu'il représente pour Israël éradiqué. Plutôt qu'une demande sérieuse faite par Israël aux Etats-Unis, «l'invasion de l'Iran» est une trouvaille électorale un peu débile de la part de stratèges en panne d'idées. Car, même pour un fanatique de la trempe de Netanyahu, il est insensé de demander à une grande puissance, qui compte déjà deux invasions désastreuses (Irak et Afghanistan), de se préparer pour une troisième invasion d'un pays de plus d'un million et demi de kilomètres carrés et de 70 millions d'âmes pour les beaux yeux d'Israël.