Lors d'une visite officielle de deux jours en Tunisie, le président du groupe de la Banque mondiale (BM), M. Jim Yong Kim, a pu rencontrer plusieurs membres du gouvernement ainsi que des représentants des organisations politiques, de la société civile, du monde des affaires et des syndicats. Une visite qui lui a permis également d'examiner les moyens d'améliorer l'appui du groupe de la BM à la transition actuelle de la société tunisienne, de promouvoir la croissance solidaire et de créer davantage d'emplois et d'opportunités pour les Tunisiens. M. Jim Yong Kim a déclaré à la presse, lors de cette visite, qu'une telle initiative est une rigoureuse preuve de soutien de sa banque à la révolution tunisienne et une manière d'assurer l'appui de celle-ci en ces temps qui ne s'annoncent pas des plus faciles. «Par l'expérience et les connaissances dont nous pouvons vous faire bénéficier, nous vous aiderons à traverser le mieux que possible cette nouvelle période difficile». La Presse a saisi l'occasion pour l'interroger sur l'avenir de l'économie mondiale, suite aux différentes révolutions qu'ont connues plusieurs pays arabes, sur les moyens de s'en sortir et surtout sur les conseils qu'il donnerait à ces pays-là, notamment la Tunisie. La sortie de crise de l'économie mondiale n'est pas pour demain, quelle est l'appréciation de la Banque mondiale face à cette situation et quels sont les moyens pour s'en sortir ? Nous venons de publier les perspectives de l'économie mondiale et nous avons constaté un véritable mouvement, surtout en Europe, et ce, sur le plan politique. Certes, il reste une multitude de choses à entreprendre au niveau structurel dans certaines économies en Europe. Depuis une année, les banques européennes ont mis en place une batterie de réformes remarquables, ce qui est très appréciable et va assurément permettre de stabiliser la situation. Nous commençons à constater une croissance encourageante aux Etats-Unis et en Chine, ce qui me laisserait dire que le pire de la crise est passé. Cela n'empêchera pas ces pays de continuer sur la voie des réformes structurelles. D'une manière générale, nous dirons que la situation s'améliore mais il y a encore du travail à faire. Par contre, nous sommes préoccupés au sujet de la région Mena, car la croissance ne va pas s'améliorer très rapidement. Nous espérons que la Tunisie arrivera à enregistrer une croissance entre 2012 et 2013, mais aussi nous dirons qu'il reste beaucoup à faire. Il y a eu des enseignements tirés par la Banque mondiale, suite à la révolution tunisienne. Cela va-t-il modifier vos politiques envers la Tunisie et d'autres pays dans la même situation ? Tout comme pour le reste du monde, nous avons écouté et tiré plusieurs leçons sur la base de l'expérience tunisienne. La Banque mondiale a développé sa position en se basant sur plusieurs critères comme l'inclusion, le genre, l'environnement, la viabilité, la durabilité... Et nous croyons que l'un des enseignements les plus importants que nous avons tiré de la Tunisie est que la croissance économique ne peut pas se réaliser sans l'inclusion, surtout de la jeunesse, et cela reste bien évidemment valable pour chaque pays dans le monde. Une croissance sans implication de toutes les couches sociales, hommes, femmes, jeunes... va engendrer une instabilité et c'est là notre plus grande leçon après toutes les révolutions qu'a connues le monde arabe. Au sein de la BM, c'est le message que nous essayons toujours de faire passer. Nous parlons toujours de croissance économique inclusive et c'est le seul modèle valable pour évoluer dans le bon sens. La Banque a une mission qu'elle fait prévaloir à travers le monde, et donc ici, c'est d'éliminer la pauvreté et d'assurer le partage de la prospérité, et c'est justement l'essentiel des revendications des Tunisiens. Pour résumer, je dirais qu'une économie inclusive doit impérativement impliquer les jeunes mais également les femmes. Cette question a fait l'objet de discussions avec les membres du gouvernement, car cela n'est pas uniquement un simple critère culturel. L'égalité des genres en soi est une valeur humaine et nous avons aussi souligné que c'est la meilleure stratégie à adopter. Il est certain que votre banque encourage les pays en développement à protéger leurs perspectives de croissance économique. Comment un pays comme la Tunisie pourrait-il le faire avec des moyens limités ? L'un des points forts de la Banque mondiale, c'est qu'elle travaille avec bon nombre de pays à travers le monde. Nous œuvrons même avec des pays qui ont des ressources beaucoup moins importantes que celles de la Tunisie. Et nous avons découvert que, même dans les pays les plus pauvres de l'Afrique, les choses ont bien évolué suite à nos suggestions d'investir dans la santé, l'éducation, la couverture sociale... Il est vrai qu'il n'y a pas de recette miracle et qu'il est important de respecter les spécificités de chaque pays, mais les principes que nous proposons sont assez solides pour faire évoluer les situations les plus critiques. Il est donc important de continuer à apporter des ressources à la Tunisie, et c'est le pays sur lequel il faut mettre l'accent. C'est le pays qui a donné naissance à toutes ces révolutions et nous devons nous assurer que toutes les réformes mises en place sont efficaces. Cela est important, non seulement pour votre pays, mais c'est un indice important pour la région et pour le monde entier. Il faut donc qu'il y ait un véritable engagement politique, des réformes à réaliser, en plus d'un climat d'affaires plus ouvert qui encouragerait les investissements. Nous devons être sûrs que l'on appuie la Tunisie pour qu'elle parvienne à réussir sa transition. La réussite du modèle tunisien va avoir un impact sur toute la région. Est-ce que la Banque mondiale est disposée à transformer la dette tunisienne en investissement ? La BM a été le chef de file dans les années 90, dans une initiative visant à effacer les dettes de certains pays pauvres. Lorsque la situation s'y apprêtait, nous l'avons fait. Mais nous accordons une intention particulière à la situation de la Tunisie, le niveau du revenu de ce pays... Et nous estimons qu'elle n'est pas éligible à ce programme et qu'elle est en mesure de rembourser ses dettes. La question de reconvertir cette dette en investissement n'est pas pratiquée par notre banque. Nous avons à ce propos une approche standardisée en ce qui concerne nos relations avec les pays partenaires.