L'histoire de l'humanité a été marquée par des révolutions de toutes les couleurs et de tous les genres, qui ont préconisé la primauté de l'être humain, tout en prouvant que les moyens utilisés ne sont que des outils performants soit pour renforcer l'humanité de l'être, soit pour amadouer la loi «hobbesienne» de la jungle. Et là on parle de révolutions, industrielle, économique, intellectuelle, juridique, gastronomique, etc. Ainsi, la révolution, qui se définit a priori comme métamorphose par le renversement d'un système par un autre, est un champ très vaste, problématique et qui n'apporte, parfois, pas de réponse, vu la complexité de l'histoire, l'ambigüité et l'hermétisme de certains faits. C'est dans le cadre du colloque international «Thawra(t) : pour une approche comparée des révoltes et révolutions à l'époque contemporaine (XIX-XXIe siècles)», organisé par l'Université de La Manouba et l'Institut supérieur de l'Histoire du Mouvement national qui a eu lieu récemment, sur trois jours, respectivement à la faculté des Lettres de La Manouba, à la Bibliothèque nationale de Tunis et à l'Institut supérieur de l'Histoire du Mouvement national de La Manouba, qu'une panoplie d'historiens, de chercheurs tunisiens et étrangers a tenté de revisiter et de débattre les révolutions dans le monde, particulièrement les révolutions arabes récentes, et ce, à travers des approches analytiques et critiques afin d'éclairer quelques notions qui tournent autour du mot Thawra(t) -révolution(s)-. Elan nihiliste ? Hegel disait que la révolution devrait être «un superbe lever de soleil». Ce lever a pris plusieurs formes et le soleil s'est illuminé différemment dans les pays. Les lumières ont donc été une source d'éclatement dans la révolution jeune-turque de 1908 qu'a connue l'empire ottoman. En effet, François Georgeon, du Centre national de recherche de Paris, a montré, lors de la première journée, la spécificité de ce modèle qui est survenu après le régime autocratique de Abdulhamid II et qui a duré une trentaine d'années. La renaissance a commencé alors par «des solidarités nouvelles et la formation de réseaux dans le mouvement jeune turc», a-t-il dit. L'émergence de cette jeunesse, formée dans les grandes écoles d'Istanbul, a voulu exprimer ses rêves et ses ambitions. Et c'est lorsqu'on a exilé le Sultan que cette jeunesse a revendiqué haut et fort «la mort du père», ce père qui, comme le pense Freud, est le symbole de l'Etat et de l'autorité. Cette mort annonçait alors l'apparition d'une jeunesse libre, intellectuelle et occidentalisée. Mais en 1927, on a «commencé à se méfier de cette jeunesse qui n'a pas d'expérience et on a décidé, alors, de la canaliser. La boucle a été bouclée avec le Sultan Mustapha», a-t-il souligné. Ainsi, quand on dit jeune, on dit aussi élan spontané, emportement et nihilisme. C'est dans cette perspective que «l'élan de négation nihiliste dans les émeutes tunisiennes annonce ses limites. Ces limites se justifient par l'absence de l'encadrement et de l'organisation. Pourtant, cette révolte sociale a revêtu une dimension politique», relève Michael Béchir Ayari, de l'International Crisis Group de Tunis. Toutefois, n'oublions pas que cette révolte a été contagieuse. En fait, la fameuse expression : «Printemps arabe», qui a commencé par la Tunisie, a également concerné les révolutions arabes en Egypte, en Libye, au Bahreïn, au Yémen et en Syrie. Cette expression, pense Sihem Kchaou, de l'Ishmn de La Manouba, est une référence au printemps des peuples européens qui a vu naître les notions de libéralisme, de nationalisme et de fraternité. Ce printemps de 1848 concerne les révolutions sicilienne, française, allemande, autrichienne, roumaine, polonaise... La conférencière a voulu, ainsi, montrer le «contexte dans lequel s'inscrivent ces deux printemps, leur parcours et leurs résultats». Ce parallélisme est très significatif dans la mesure où les printemps des pays européens et des pays arabes réclament une harmonie fraternelle entre les pays et les classes sociales. Références De surcroît, cette formule appelle et interpelle d'autres expressions imagées ; en d'autres termes et selon Jean-Claude Caron, de l'Université de Clermont- Ferrand, les appellations qui se réfèrent aux révolutions sont des métaphores où chaque lettre crie soit la gloire comme pour la révolution française de juillet 1830, soit un souffle de respiration libre comme pour le «Printemps des peuples» qui a été «synonyme de fécondité, de moissons abondantes à venir», soit elle crie le sang qui a coulé dans chaque corps mort durant la «Semaine sanglante» où le combat entre troupes versaillaises et troupes communardes a marqué une féroce répression dans cette guerre civile qui a mis fin à la Commune de Paris. Cela étant dit, les semaines et les mois sanglants n'ont pas été épargnés dans les pays du «printemps arabe». Abdelmajid Belhédi, de l'Ishmn, a d'ailleurs exposé le coût humain des évènements de la fin de l'année 2010-début 2011. Il y a eu des blessés dans toute l'Egypte et en Libye, le nombre des morts est très élevé, notamment chez nos voisins où l'on a compté plus de 40 mille morts. Quant à l'économie, le conférencier a signalé qu'elle a été également touchée par ces évènements. En Tunisie, comme en Libye et en Egypte, il y a eu «un recul de l'investissement et des industries d'exportation». Aussi, le tourisme a-t-il marqué une régression que ce soit en Egypte, au Yémen ou en Tunisie. La facture est coûteuse, surtout que le contexte social de ces pays est ardu puisqu'il est envahi par le chômage et la pauvreté. C'est ce qui conduit les jeunes à recourir à l'immigration clandestine. Abdelmajid Belhédi conclut que l'absence de stratégies claires et efficaces pour sortir de ces difficultés ne fait pas évoluer les choses. Par ailleurs, l'action rejette toujours la position de celui qui reste silencieux et muet. Mais jusqu'à quel point peut-on dire que le mutisme ne cache pas une prise de position ? C'est ce que Fayçal Cherif, de l'Ishmn, a voulu montrer en prenant l'exemple du rôle de l'armée dans la révolution tunisienne. «Repenser ce rôle» s'avère très important puisqu'il y a des paradoxes et des ambiguïtés qui dépassent la logique des événements. La question qui se pose est la suivante : pourquoi désigne-t-on l'armée comme étant la «grande muette» ? Pourquoi alors toute cette glorification, lorsqu'on sait que cette institution «n'a pas participé dans le cadre du régime déchu à la répression de la population civile», d'autant plus qu'elle n'est même pas intervenue pour «protéger les individus ainsi que les édifices et les bâtiments publics» ? Le conférencier a voulu mettre en évidence l'historique de cette institution sous la gouvernance des présidents tunisiens, en insistant sur l'urgence de revoir «la psychologie de l'armée» et ses dessous. Car les zones d'ombre qui tournent autour du lien entre l'armée et le ministère de l'Intérieur sont devenues des zones qui suscitent le soupçon et la non-confiance. Ceci dit, il faudrait attendre encore quelques années pour avoir sous la main une relecture intelligible et crédible de l'histoire. Le mutisme est donc suspect, semble-t-il, il est inculpé ! Mais de la part de qui ? Qui peut accuser les uns et disculper les autres ? Ce qui est encore plus grave dans tout cela, c'est qu'on est allé jusqu'à mettre les universitaires dans le même sac. C'est presque là le propos de Amira Aleya Seghair, de l'Ishmn, qui a mis en doute la relation des universitaires avec la révolution tunisienne, parlant de leur absence et du fait qu'il n'y a pas de «véritable interaction entre l'université et les évènements de la révolution» et exposant le rapport des universitaires tunisiens avec le régime de Ben Ali. Cependant, il termine son discours spéculateur par une touche d'optimisme minime et équivoque en disant qu'il y a un retour aux syndicats libres et qu'on est en train de produire des formations dans le cadre des recherches scientifiques en installant des conventions avec les facultés étrangères. Il faut être toujours sur place dans les manifestations ou dans les insurrections, pour voir si les universitaires étaient présents ou pas, d'autant plus qu'il ne faut pas oublier que tout au long du régime déchu, il y a eu deux grands courants, l'un a accepté de négocier avec le régime de Ben Ali et l'autre s'y est opposé. Donc, il est inutile de «jeter le bébé avec l'eau du bain». Rien ne sert de pleurer, de gémir ou de crier à haute voix qu'on est en train de lutter. Dans ces cas-là, on dira : seul le silence est grand, tout le reste est faiblesse ! (à suivre)