Par Mohamed LARBI BOUGUERRA La Tunisie, aujourd'hui, a bien des chats à fouetter. Elle ne saurait cependant se désintéresser de ce qui se passe sur la scène internationale et particulièrement de ce qui se passe dans l'entité sioniste, celle-là même qui n'a pas hésité à bombarder notre pays le 1er octobre 1985 et à y perpétrer des assassinats. Pour ne rien dire des souffrances qu'elle inflige aux Palestiniens et de ses menaces vis-à-vis de pays frères — comme le prouve sa récente incursion en Syrie— et de la paix dans le monde. Israël menace en fait la paix avec ses sous-marins nucléaires qui rôdent en Méditerranée, à notre porte ; sa bombe et ses installations atomiques qui échappent à tout contrôle. L'entité sioniste a, en outre, boycotté, la semaine dernière, le Conseil des droits de l'Homme de l'ONU à Genève. Ce qui lui vaut un éditorial cinglant du New York Times (30 janvier 2013). Le Conseil onusien condamne, en effet, les menées israéliennes inhumaines – qu'il qualifie de crimes de guerre— contre les Palestiniens et lui intime l'ordre de quitter les territoires occupés. De plus, Israël refuse un Moyen-Orient dénucléarisé. «La normalisation» n'agite-t-elle pas la classe politique et l'opinion ? Enfin, quel Tunisien ne porte-t-il pas Jérusalem dans son cœur ? La politique de l'autruche Le vote des Israéliens mardi 22 janvier 2013 a accouché d'une Chambre... qui risque de conduire très vite à de nouvelles élections car, sur les 120 sièges de la Knesset, aucun parti n'a obtenu la majorité. Il est vrai que jamais le suffrage populaire en Israël n'a donné de Chambre dotée d'une majorité claire, exception faite d'une courte période, en 1969, où une majorité s'est dégagée en faveur des Travaillistes et du Mapam. La raison ? Les Israéliens ne votent que pour des partis. Ceux-ci ont des listes de candidats à la députation et les sièges sont attribués en fonction du nombre de voix recueillies par telle ou telle formation, à la proportionnelle intégrale, suivant la méthode du mathématicien belge D'Hondt. Dès qu'une formation capitalise 2% des voix, elle gagne des sièges de député. Donc, si le parti A a remporté 57 sièges et le pari B 55 sièges, le petit parti C qui n'en a gagné que 6 décide généralement de l'orientation du gouvernement. Les petits partis, souvent, imposent au final leur point de vue lors des honteux marchandages de maquignons qui conduisent à la formation du gouvernement et qui peuvent durer six semaines. Pour Dylan Matthews, du Washington Post (23 janvier 2013) «La nécessité de faire la cour aux petits partis de droite et aux formations ultra-orthodoxes a sans doute gêné le processus de paix». C'est ainsi que Nétanyahou a été l'otage du parti religieux Shass et de son maître à penser, le grand rabbin Ovadia Yosef, dont les amulettes n'ont pas suffi, cette fois, à assurer la victoire au front électoral formé par Netanyahou et Libermann lequel n'a eu que 31 sièges contre 42 dans la précédente Knesset. A noter que ce front électoral est le seul, parmi les 33 partis qui se sont présentés devant le corps électoral, à ne pas avoir publié une plateforme exposant son programme. Faux calcul sur la fidélité de ses partisans ou programme trop obscène pour être publié? N'empêche : intervenant à la télévision, Guysen, le 24 janvier dernier, Avi Pazner, porte-parole du gouvernement israélien, a affirmé que le raciste Libermann est «injustement» considéré comme d'extrême droite !! «L'unique démocratie du Moyen-Orient», on vous dit ! Quoiqu'il en soit, les élections du 22 janvier ont donné une Chambre qui ne compte que 12 députés non juifs et 18 députés en faveur de la solution des deux Etats : c'est ainsi que fonctionne «l'unique démocratie du Moyen-Orient», comme se plaît à dire la propagande sioniste, et où jamais un député arabe n'a fait partie du gouvernement, affirme dans le New York Times (24 janvier 2013) Diana Buttu, avocate arabe-israélienne qui explique : «Les députés arabes ne feront jamais partie du système car le système est défini comme un Etat juif». Preuve cependant du désarroi des Israéliens révélé par ces élections, le tout nouveau parti d'un présentateur de télévision photogénique, Yair Lapid, a remporté le plus grand nombre de députés après celui de Netanyahou. Hausse des prix, crise du logement et de la classe moyenne, corruption des dirigeants : Ehud Olmert, Avigdor Libermann, Moshé Katsav... , mafia russe, bruit de botte contre l'Iran, discrimination en tout genre contre les Palestiniens, les Ethiopiens, les séfarades...., les immigrés africains parqués dans des parcs indignes, pressions des partis religieux, arrogance et violence du lobby des colons (qui a remporté moins de sièges que prévu), isolement du pays sur la scène internationale... font que les Israéliens ne savent plus à quel saint se vouer et pensent trouver en Yair Lapid — un néophyte en politique — un sauveur échappé des écrans cathodiques. De plus, le pays se déchire sur la question des 500.000 haredim (ultra-orthodoxes) exemptés du service militaire et qui vivent aux crochets de l'Etat pour se consacrer à l'étude de la Torah. On signalera enfin que dans ce pays «à deux vitesses» 18 familles possèdent 60% des actions en Bourse et que plus d'une personne âgée sur cinq (même rescapée des camps nazis!) vit sous le seuil de pauvreté. «Si nos ancêtres ont rêvé d'un passeport israélien pour s'échapper d'Europe, beaucoup parmi nous rêvent maintenant d'un second passeport pour s'échapper en Europe.» écrit Gidéon Lévy dans le quotidien israélien Haaretz. C'est ainsi que le personnel des bases aériennes, par exemple, a massivement voté pour Lapid et contre Netanyahou. Cette frange de l'électorat a signifié ainsi son refus de l'agression aventureuse contre l'Iran qu'agite constamment Netanyahou — dont personne n'a oublié la risible prestation, avec dessin enfantin à l'appui, devant l'Assemblée Générale de l'ONU ! Critiquant l'accent mis pendant la campagne électorale sur les difficultés de «la classe moyenne» et sur «la charge égale» que doit exercer le service militaire sur les Israéliens, Gideon Lévy écrit, sous le titre «La pourriture qui va nous ruiner» (Haaretz, 23 janvier 2013) : «Nulle voie d'accès à la justice sociale en Israël alors que le pays patauge dans la boue au-delà de la Ligne Verte. Il n'y a aucun moyen d'agir dans l'intérêt de la classe moyenne si on ignore la honte des pauvres ici et des réfugiés là-bas. La démocratie ne peut plus être affermie quand elle inclut l'occupation. Le système judiciaire ne peut être préservé quand ses fondations sont pourries, il y aussi le scandaleux système de justice militaire... L'économie ne peut s'en tirer si nous n'arrêtons pas le gaspillage de fonds du budget de la sécurité et les non moins scandaleuses dépenses au profit des colons. Il n'y a aucun moyen d'améliorer le statut international de l'Etat d'Israël tant que celui-ci ne desserre pas son étreinte et ne libère pas les Palestiniens. Les nombreux maux dont souffre Israël ne peuvent plus être traités si on ne prend pas, en premier lieu, la plus cruciale des décisions : mettre fin à l'occupation.» et Lévy – qui se dit «voix du désespoir» — de conclure, en soulignant l'échec du Likoud avec le gouvernement Netanyahou: «lors de ces élections, les Israéliens ont enfoui leur tête dans le sable». Il en résulte que Netanyahou et Lapid avec leurs cinquante sièges vont faire appel à un parti religieux pour atteindre la majorité. Rien de bon ne peut sortir d'une telle combinaison ni pour la paix ni pour les Palestiniens. Yair Lapid n'a-t-il pas déclaré, à en croire le New York Times, qu'il «déteste» la vaillante députée arabe Hanène Zoabi qui a embarqué dans la flottille de la paix ? Lapid et Netanyahou ne croient pas à une paix proche et, rengaine habituelle éculée : «il n'y a pas d'interlocuteurs côté palestinien» répètent-ils en chœur. Mais les sionistes peuvent-ils croire que, grâce à leurs start ups de la sécurité, des drones et de l'espionnage, ils peuvent indéfiniment vivre protégés par les murs de l'apartheid? Nicolas Sarkozy lui-même n'y croit pas ! En marge du Forum de Davos, le 25 janvier 2013, l'ancien président français a déclaré, au grand dam des participants sionistes à un banquet à Genève : «Israël s'est claquemuré derrière les murs de Jéricho. Il est nécessaire de mettre à bas ces murs pour le sauver» ajoutant que si Israël ne prépare pas le terrain pour la création d'un Etat palestinien, il va vers «le désastre». Israël doit réaliser qu'un facteur nouveau a fait irruption dans le paysage politique : l'opinion et la «rue» arabes existent et peuvent enfin se faire entendre. Israël ne peut plus traiter avec le seul Moubarak ou ses pareils. L'opinion arabe est maintenant là et bien là. La société civile est là et se fait entendre. Le futur gouvernement israélien devra enfin tenir compte de cette donnée et ne pas faire la politique de l'autruche, sinon, effectivement, il va au «désastre» comme le dit Nicolas Sarkozy qui se définissait le 27août 2007, devant la Conférence des ambassadeurs français à l'Elysée, comme «l'ami d'Israël».