Par Rejeb HAJI «Aimez tout le monde. Faites confiance à quelques-uns. Ne faites du tort à personne» (W. Shakespeare) Le chômage et la misère ont été les facteurs clés du déclenchement de notre révolution. Berceau des civilisations, notre pays se trouve aujourd'hui à la croisée des chemins. Sa situation n'est plus enviable et se détériore, de plus en plus. L'agence «Standard & Poor's» lui a dégradé la note souveraine d'un cran en la faisant passer de BB+ à BB-. Ces agences de notation, faut-il le rappeler, sont comme les médecins après la visite, il faut passer à la caisse ! Nous attendons encore que la Banque Centrale nous révèle les montants de ces consultations. Nous avons pourtant prévu la baisse de notation et attiré l'attention des gouvernants à temps. Notre article paru dans La Presse du 2/8/2011 l'atteste (Agences de notation : un mal nécessaire ?!). Nous les avons alertés en ces termes : «...Ouvrons les yeux, notre pays est au bord du gouffre. A cause de cette course effrénée pour le pouvoir par cette multitude de partis et à cause du fonctionnement de ces commissions qui n'inspirent ni respect, ni confiance, un nouveau danger guette notre pays : la revue de la note à la baisse. Notre crainte que les moults bonnes paroles ne suffisent plus et qu'il nous faut compter sur nous-mêmes en nous serrant davantage la ceinture, en diminuant le train de vie de l'Etat et de ses dirigeants. Travailler plus, tout en étant conscient de ses devoirs et de ses droits, pour relancer la croissance, seule piste garante de création d'emploi. L'essentiel demeure une solidarité à toute épreuve pour sauver notre pays et le mener à bon port». Mais les tenants du pouvoir d'alors sont demeurés atones à notre appel. Ils ont fait des déclarations pour atténuer l'impact des notes de ces agences et réfuter leurs avis pourtant fondés. La situation d'aujourd'hui — celle de 2013 — n'a rien à envier à celle d'hier. Le constat est sans appel. Passons en revue les différents domaines : – Le politique : deux martyrs dont l'un est tombé par des armes peut- être venues d'ailleurs ; une bataille durant des mois pour un remaniement ministériel qui n'a pas eu lieu; un Premier ministre tendant la main à ses adversaires, désavoué par le parti dont il est le secrétaire général, poussé à démissionner; un gouvernement provisoire aux abonnés absents; une course folle des partis aux portefeuilles; un attachement sans faille aux résultats du dernier scrutin où seulement le tiers des votants se sont déplacés aux urnes... – L'économie : un endettement de plus en plus insoutenable ; des chiffres fétiches servant de propagande, balancés par-ci et par- là, sans aucune référence ni justification ; une dégradation du climat des affaires avec des entrepreneurs inquiets sur leur sort et d'autres qui émigrent (2.600 selon certains journaux) vers d'autres cieux (Algérie, Maroc); des entreprises étrangères pliant bagage pour une délocalisation ; un secteur financier opaque et sans réformes... – Le social : une inflation non maîtrisée; un pouvoir d'achat en chute libre; des grèves en continu; des désarrois quant à l'emploi; une émigration non contrôlée vers d'autres cieux; une participation sans raison de jeunes à un «jihad» dans des régions du monde lieux de conflits; une absence de stabilité; l'apparition de la terreur... Bref, au vu de ces faits saillants, notre bateau tangue et nos politiques s'avèrent peu aptes à l'amener sur le bon chemin. Le Premier ministre, en jetant l'éponge, ajoute à la confusion d'autant plus que la loi sur l'organisation de pouvoirs publics est muette sur le cas de démission. Comme d'ailleurs sur les délais accordés au président de la République pour désigner un remplaçant au cas où le nouveau désigné du même parti n'obtient pas la confiance de l'ANC. C'est dire les tractations à venir. Déjà pour un mini-remaniement, ce fut des mois d'attente sans résultat tangible, que dire pour la formation d'un nouveau gouvernement ? Des questions simples restent sans réponses : comment transcender des clivages politiques et les intérêts particuliers ? Quelle attitude va adopter Ennahdha, le parti majoritaire détenant les clés de la sortie de crise ? Quels sont les nouveaux dérapages attendus qui menacent la tenue des nouvelles élections ? Ces élections, elles-mêmes, vont-elles enfin avoir lieu ? Va-t-on leur fixer un calendrier ou va-t-on les renvoyer aux calendes grecques ? Comment va-t-on arrêter cette guerre politique de plus en plus sauvage ? De rebondissement en rebondissement, le citoyen ne se retrouve plus dans le paysage politique actuel. Il ne sait plus où donner de la tête. Des manœuvres à contre-sens se succèdent. Des réformes longtemps attendues ne sont pas engagées. Le politique a subjugué l'économique. Depuis deux années, les économistes sont introuvables puisqu'ils sont devenus un îlot dans un océan de politique. Tour à tour, des juristes défilent sur les ondes et prennent de l'ampleur. Ils parlent même d'un nouveau modèle économique pour le pays, alors qu'ils auraient mieux fait de nous écrire un canevas de Constitution ou encore de corriger les insuffisances de la loi d'organisation des pouvoirs. A chacun son rôle et ses prérogatives car l'absence de transparence est source de confusions et d'ambiguïtés. Faut-il avoir recours aux sondages qui sont sans contrôle et qui deviennent la panacée des politiques pour abuser encore plus de l'opinion ? Quelles solutions adoptées lorsque les prêteurs vont devenir plus exigeants ? Comment identifier les leviers qui militent pour le renouveau et pour les perspectives rassurantes ? Peu d'actions du gouvernement actuel sont annonciatrices d'un rebond plausible. Se cramponner à apprendre la culture du pouvoir sur le dos du citoyen devient une faute grave. Les néophytes doivent reconnaître leur échec et ce sera en leur honneur ! La gouvernance n'est pas chose aisée, ils s'en sont rendus compte. Par-delà l'appartenance à un parti ou à une idéologie, c'est l'intérêt du pays qui est aujourd'hui en jeu et la proposition de l'Union générale des travailleurs tunisiens est à notre sens encore d'actualité. Un conclave réunissant tous les partenaires sans exclusive peut encore sortir le pays de l'ornière. La cohabitation, même amère pour certains, est la seule issue possible pour redorer l'image de notre pays. Il faut fédérer les réflexions et construire un projet. C'est le seul enjeu qui vaille. La Tunisie est attendue au tournant. Pour preuve, les allers-retours des principaux partenaires étrangers. Ils viennent pour tâter le pouls et s'informer au plus prêt de la situation !