Khadija Yahyaoui, auteure de l'article paru dimanche 10 mars dans le quotidien Echourouk, comparaîtra aujourd'hui devant le substitut du procureur de la République. Contactée, la journaliste d'Echourouk confirme l'information : «J'ai bien reçu une convocation officielle à cet effet concernant l'article où je révèle l'arrestation du présumé assassin Kamel Gadhgadhi par l'Algérie qui l'a livré il y a six jours à la Tunisie. Mais je donnerai la preuve de la véracité des informations que j'ai rapportées d'après des sources variées et authentifiées. Ce n'est pas la première fois que j'écris sur l'affaire Chokri Belaïd. Mais dans ce dernier papier, j'ai apporté des informations supplémentaires authentifiées et recoupées et je n'ai aucune raison de falsifier la vérité. L'affaire Chokri Belaïd est très importante et je m'y suis intéressée dès le jour de l'assassinat. Et je n'ai pour autre objectif que d'accomplir mon travail de journaliste. Par ailleurs, étant évident que cette affaire n'est pas le fait de quatre ou cinq individus, mais plutôt planifiée par des parties importantes. Seuls les pouvoirs sécuritaires et judiciaires sont habilités à révéler la vérité». Son confrère Kamel Cherni, nous a déclaré que «sa collègue, qui est soutenue par toute la rédaction du journal, a affirmé n'avoir rien à se repprocher, qu'elle est sûre de ses sources et qu'elle est en possession d'autres informations qu'elle révélera ultérieurement». Et d'ajouter : «C'est une diplômée de l'Ipsi, professionnelle qui connaît son métier, nous avons discuté de son article et elle persiste et signe sur la véracité des informations qu'elle a rapportées. D'ailleurs, vous voyez bien, il n'y a pas eu de démenti officiel ni de la part des autorités algériennes, ni tunisiennes». «Le porte-parole du ministère de l'Intérieur, Khaled Tarrouche, a démenti l'information uniquement sur sa page Facebook. Ce qui n'engage personne, tout un chacun pouvant écrire ce qu'il veut. Aucun communiqué de la part des autorités n'a démenti des informations qu'elle a rapportées. En attendant, nous soutenons notre collègue», argue-t-il. En fait, Khaled Tarrouche a démenti l'information également sur la radio Mosaïque FM, qualifiant «ces informations d'invraisemblables et s'étonnant que la journaliste ne se soit pas référée aux sources sécuritaires et judiciaires pour confirmer les données en question». Rappelons que la journaliste a révélé que les autorités algériennes ont arrêté l'assassin présumé de Chokri Belaïd grâce à une surveillance par satellite. «Le juge d'instruction chargé de l'affaire n'a pas été informé de l'arrestation, seuls quelques cadres du ministère de l'Intérieur et la brigade criminelle», affirme Khédija Yahyaoui, sont au courant». Elle a ajouté que «l'assassin présumé serait en danger de liquidation, ses déclarations à la brigade criminelle seraient ‘‘accablantes'' pour certains ‘‘partis politiques'' du pays». Selon notre correspondant au Kef, contacté par téléphone hier, Jamel Taïbi, «les zones frontalières avec l'Algérie, dans les montagnes du Kef sont encore encerclées par des agents de la sécurité nationale». Six terroristes ont été arrêtés depuis le début de l'opération, dont deux la semaine dernière, dans les nuits de mardi à mercredi et de mercredi à jeudi. L'un d'eux était chargé d'approvisionner les terroristes en vivres. «Les suspects arrêtés, dont deux à Fernana, dans une voiture qui avait à son bord des tenues militaires, des explosifs et des armes à feu et quatre au Kef ne sont pas interrogés par les services sécuritaires régionaux, mais sont ramenés directement à Tunis. Au vu de l'arrestation des suspects et de la mobilisation des forces de l'ordre et des patrouilles permanentes, tout porte à croire que le présumé meurtrier pourrait avoir été arrêté et qu'il a encore des complices cachés dans les régions forestières actuellement encerclées», poursuit encore notre collègue. «El Watad» croit en la version d'Echourouk De son côté, le parti El Watad ou Parti des patriotes démocrates unifié estime crédible la version de la journaliste d'Echourouk révélant l'arrestation de l'assassin présumé, Kamel Gadhgadhi. Mohamed Jmour, secrétaire adjoint d'El Watad, nous a indiqué: «Que l'assassin présumé ait été arrêté ou pas, cela ne changera pas la position du parti. Estimant que l'enquête ne progresse pas du fait notamment qu'il existe un filtre entre le juge d'instruction et la commission rogatoire formée de la brigade criminelle. Autrement dit, toutes les informations qui parviennent à la police ne parviennent pas au juge d'instruction. Ce dernier ayant commis à mon avis une grave erreur pour avoir émis une commission rogatoire à la police judiciaire, acte par lequel le juge délègue certaines de ses attributions. C'est là une délégation de pouvoir et je ne comprends pas les raisons, surtout que le siège du juge se trouve à quelques kilomètres des lieux du crime. Généralement, on a recours à une commission rogatoire pour des raisons d'efficacité quand le siège du juge est éloigné des lieux du crime. La brigade criminelle relevant du ministère de l'Intérieur, il est fort probable qu'elle soit soumise à des pressions, à la censure et à une volonté d'orienter l'enquête selon le bon vouloir du ministère de tutelle. De ce fait, le juge n'a pas accès à tous les résultats et données de l'enquête». Selon Mohamed Jmour, l'affaire Chokri Belaïd aurait dû être confiée à la brigade antiterroriste. Or elle l'a été à la brigade criminelle. «Ce paradoxe est dû, explique-t-il, à la volonté de filtrer les informations qui doivent parvenir au juge et de les contrôler par le ministère de tutelle qui n'a pas intérêt à voir la vérité dévoilée. Cela parce que l'assassinat de Chokri Belaïd est politique et que l'Etat assure une responsabilité morale et politique et j'ajoute qu'il y a plus d'un argument qui nous poussent à croire qu'il s'agit d'un crime d'Etat où est impliqué le ministère de l'Intérieur. Voilà qui nous a poussés dans une première étape à saisir le Haut commissariat des Nations unies aux droits de l'Homme. Et si la justice tunisienne se montre incapable de dévoiler la vérité, en raison des entraves à l'enquête, nous serons dans l'obligation de saisir les instances judiciaires internationales. Enfin, je ne crois pas qu'une journaliste responsable et consciente du risque pénal qu'elle encourt va s'amuser à avancer des informations infondées. Il est donc très grave, si les révélations d'Echourouk s'avèrent vraies, que le principal suspect ne soit pas déféré aussitôt arrêté devant le juge d'instruction chargé de l'affaire du martyr Chokri Belaïd».