L'auteure, Kalthoum Jemaïl, décroche le Prix Zoubeïda Bchir 2013 D'où vient-on? Où va-t-on? Où réside le secret de la vie sinon dans l'échange et dans la perpétuelle découverte de soi à travers l'autre? Ce sont ces pistes de réflexion qui guident à chaque fois l'artiste, mais aussi l'auteure Kalthoum Jemaïl, dans ses écrits. Après son ouvrage La préhistoire ou le génie créatif de l'homme, dans lequel elle part à la recherche de l'origine de l'Homme, cette fois, elle porte son regard sur son environnement le plus près : ses propres origines. Ses origines sont entre autres Abdelaziz Jemaïl, son grand-père, né à Tunis en 1895 et décédé à La Marsa en 1969. Pour le connaître et le faire connaître, elle vient de publier, au mois d'octobre 2010, son livre Sheikh al-fannanine : Abdelaziz Jemaïl et le siècle de la Tunisie moderne. Cette biographie historique vient de remporter le prix Zoubeïda Bchir 2013, de la meilleure production scientifique en langue française. Ce livre est préfacé par Zouhaier Jied, membre et ancien secrétaire général de la Rachidia, dont Sheikh al fannanine (le maître des artistes) fut cofondateur. Pour l'histoire, cet ouvrage «met à la disposition du lecteur des données historiques jusque-là éparpillées», dit-il dans sa préface. Abdelaziz Jemaïl fut-il un homme ordinaire? Dans l'apparence oui, il disposait d'un atelier où tout donne à penser qu'il était menuisier. Mais, confie-t-il : «De l'arrière-boutique, on entendait des mélodies... J'appris plus tard que ce lieu abritait un véritable conservatoire par lequel sont passés tous les virtuoses tunisiens du siècle dernier». C'est dans son atelier, au 3, rue Sidi Mefredj, dans la Médina de Tunis, que fut créé puis propagé le oud oriental dans le pays. «C'est lui qui a fabriqué le luth oriental à partir d'un luth qui lui a été offert». Le livre se veut, en effet, comme une source documentaire assez complète et exhaustive pour la mémoire nationale. Car restituer le parcours —anonyme pour certains— de Abdelaziz Jemaïl, c'est aussi faire découvrir à ceux qui l'ignorent, que dans le domaine musical, il fut avec Hédi Chennoufi, le premier à jouer les bachrafs et les samaï, musiques non accompagnées de paroles, deux genres musicaux qui étaient uniquement interprétés par la fanfare beylicale. Ce duo, «le premier avec son violon, le second au piano, a introduit —avant même la Rachidia— cette forme musicale pure dans le répertoire collectif», cite Zouhaier Jied. Publié sur plus de 170 pages avec une riche illustration photographique ancienne, restaurée par Afef Sahbani, le livre est un décryptage subtil sur le parcours d'un homme autodidacte qui n'était pas menuisier, mais qui est devenu un admirable luthier. Il ne connaissait pas l'écriture musicale, il était devenu virtuose du violon, ce qui a fait de lui une sommité du XXe siècle en Tunisie, période de l'âge d'or culturel de notre pays. Tout en parlant de son grand-père passionné de malouf, l'auteure part sur les traces des origines du malouf, les différentes périodes de l'immigration andalouse vers la Tunisie et l'apport socio-culturel des minorités ayant contribué à l'enrichissement du patrimoine national tunisien. Dans ce travail de recherche, l'auteure s'est basée sur un ensemble varié de sources: articles de presse, quelques brèves évocations rapportées dans certains livres et documents spécialisés, mais aussi des témoignages de parents, personnes du métier et de divers autres connaissances, dont Chedli Klibi. Décédé à l'âge de 70 ans, Sheikh al-fannanine, sollicité pour jouer sur les ondes de la radio dès son apparition en 1938 avec Ali Riahi et Ahmed Kheïreddine, était chaouachi, luthier, violoniste, enseignant et pédagogue. Parmi ses élèves, Ali Riahi, Mohamed Ghazali, Ali Sriti, les frères Ridha, Ahmed Kalaï et bien d'autres. En bref, l'ouvrage donne à découvrir le parcours d'un personnage original, autodidacte qui inventa son école de musique dès le début du XXe siècle. Sa Al-zaouia al fanniya (Mausolée artistique) devint incontournable dans la Médina de Tunis. Elle est considérée comme une école-conservatoire publique, principale initiatrice de la musique classique tunisienne et orientale.