Echanges d'escarmouches entre Ennahdha et l'opposition Absence d'indices accréditant la thèse de l'existence de réseaux spécialisés dans un présumé trafic Le gouvernement s'en défend, preuves à l'appui, et un psychologue accuse les parents Quid des jihadistes tunisiens combattant au Mali, au Niger et en Somalie? Un point de l'histoire pour commencer : pas moins de 1.200 intégristes emprisonnés par Ben Ali au terme de la croisade terrifiante que ce dernier avait lancée au début des années 90 ont été libérés au lendemain de la révolution. Parmi lesquels on comptait, outre les nahdhaouis, une centaine de jihadistes ayant combattu au Pakistan, en Irak et, bien entendu, en Afghanistan, terre sacrée du jihadisme mondial et centre névralgique de la nébuleuse intégriste d'Al Qaïda. Autre fait saillant non négligeable : deux détenus sur trois parmi cette communauté pénitenciaire ont développé un penchant plus prononcé pour le terrorisme religieux, sous le poids asphyxiant des interminables années de souffrance et de terreur passées dans les geôles des tristement célèbres prisons de Borj Erroumi et Ennadhour. Mieux, plusieurs jihadistes tunisiens ont, à l'époque, péri dans les guerres saintes en Irak et en Afghanistan, alors que d'autres s'y sont fait prisonniers ou sont miraculeusement rentrés au bercail pour se faire arrêter par l'ancien régime, sans compter les nombreux détenus tunisiens qui attendent encore de purger des peines dans ces pays, ainsi que dans la prison de Guantanamo. Si nous avons tenu à fourrer le nez dans les poussières de ces archives, c'est pour démontrer au moins deux vérités, à savoir : 1 - Le phénomène du jihadisme n'est pas spécifique à la Tunisie. 2 - Il n'est pas la résultante de la révolution du 14 janvier 2011, même s'il s'est manifestement développé depuis, la répression cynique de l'ancien régime n'étant qu'un souvenir. Qui croire ? Sujet tabou qui croulait, jusqu'ici, sous le poids d'un black-out machiavéliquement entretenu par Ben Ali, le jihadisme est aujourd'hui fatalement sur toutes les bouches et de toutes les... sauces politiques. Au point que certains de ses adeptes n'hésitent plus à faire le tour des... plateaux de télévision pour exhiber leur «héroïsme». Du coup, surgirent les interrogations suivantes : ces jeunes Tunisiens vont-ils au jihad par conviction ou les pousse-t-on à le faire ? Existe-t-il réellement dans nos murs un ou des réseaux chargés de la gestion de ce qu'on appelle désormais en Occident «le tourisme jihadiste» ? Et là, nous sommes face à un autre mystère, à savoir l'absence, du moins jusqu'à présent, d'indices fiables accréditant la thèse de l'existence de réseaux chargés de l'envoi de jihadistes tunisiens en Syrie. D'ailleurs, nul ne peut avancer le nombre exact de ces derniers, en l'absence de statistiques officielles sur fond de rupture des relations diplomatiques entre la Tunisie et ce pays. De surcroît, aucune arrestation d'un membre présumé de ces réseaux n'a été opérée jusqu'à nos jours. N'empêche que des familles tunisiennes relayées par une large frange de l'opposition persistent à croire non seulement en l'existence de ces réseaux, mais aussi et surtout en le... silence complice du gouvernement sur lequel on continue de tirer à boulets rouges. Or, tant Ali Laârayedh que Rached Ghannouchi et le nouveau ministre de l'Intérieur s'en défendent farouchement, en réfutant l'implication de l'Etat, tout en martelant qu'«il est pratiquement impossible d'élucider cette énigme, dans la mesure où on ne peut pas empêcher un passager en situation régulière de voyager». Même son de cloche auprès d'un douanier exerçant à l'aéroport Tunis-Carthage qui précise que «personne n'a le droit d'obliger un passager à expliquer les raisons de son voyage», niant, au passage, en bloc les rumeurs circulant dans le pays, et faisant état de l'existence d'un trafic de passeports qui aurait permis à des jihadistes de transiter illégalement par nos frontières pour partir en Syrie. Et c'est sans doute pour rendre l'ascenseur et faire barrage aux critiques des familles et de l'opposition que le gouvernement a décidé récemment d'ordonner une enquête auprès du procureur général du Tribunal de Tunis, afin de collecter le maximum de renseignements et de pistes pouvant conduire à lever le voile sur l'existence de présumés réseaux spécialisés dans l'envoi de jihadistes tunisiens au pays d'Al-Assad. L'avis d'un psychologue Pour M. Béchir Naffati, psychologue de son état, la question est à traiter sous un autre angle. «Pour moi, estime-t-il, la faute incombe, en premier lieu, aux parents qui assistent, nonchalants, aux opérations d'endoctrinement et de lavage de cerveau que subissent leurs enfants. Or la sagesse recommande aux parents d'opter pour la prévention, en contrôlant, de jour comme de nuit, les navettes quotidiennes de leurs progénitures entre la mosquée et la maison pour pouvoir intervenir à temps et éviter la dérive. D'ailleurs, je demeure persuadé que s'ils n'agissent pas au moment opportun, le mal sera fait, et plus personne n'empêchera alors les leurs de se faire entraîner dans la spirale du jihadisme». De nouvelles... bombes à retardement en vue Dans une précédente enquête, nous avions, en exclusivité, déclenché la première sonnette d'alarme sur un début d'enlisement des jihadistes tunisiens dans le bourbier syrien. Un SOS tombé malheureusement dans l'oreille d'un sourd et que nous doublerons aujourd'hui d'un autre, après les révélations faites récemment par des médias occidentaux sur la présence de jihadistes tunisiens sur le champ de bataille au... Mali, au Niger et en Somalie. De nouvelles bombes à retardement en vue !