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La mère du martyr Y. : « Mon fils est sorti de notre lignée et s'est inscrit dans celle de Ben Laden et d'Abu Yadh... » Jihad des jeunes Tunisiens en Syrie (2e partie)
A l'antipode de la figure commune du jeune chômeur, fragile et manipulé, recruté dans les cités périphériques, Y. était un brillant consultant en commerce international. Enfant d'une famille aisée, titulaire d'un troisième cycle, d'un emploi fixe et d'un salaire consistant, il habitait un quartier résidentiel de Tunis. Mais, à trente ans, il a troqué les projets de l'avenir contre les jouissances du martyre... Pourquoi? S'interroge sa mère trois mois après la nouvelle de sa mort. «Il est peut-être à 1%... pas plus, mais il persiste, le doute...», c'est avec ces mots lâchés distraitement que R. choisit de commencer. Contrairement à d'autres mères étreignant nerveusement une photo ou un CD, R. ne détient aucune pièce témoignant du décès de son fils. Un coup de fil d'un «frère» de Tunis qui a lui-même reçu l'appel d'un compagnon de front chez qui le martyr confiait le numéro à contacter en cas de décès, devait suffire... Pour la mère, difficile de savoir si cela doit suffire ou pas. Entre faire le deuil et espérer, elle choisit de parler de son fils au passé. « Il est devenu salafiste dans les prisons de Ben Ali... » Enfance douillette, le jumeau s'est distingué trop tôt par son calme et sa droiture. «Il frôlait la perfection humaine», murmure la mère. Etudes brillantes dans un institut supérieur suivies d'un troisième cycle à l'étranger, il a choisi de rentrer et de travailler pour une grande société privée. Y. a commencé par faire ses prières régulièrement. «Il était pieux, mais pas salafiste. Il allait régulièrement à la mosquée avoisinant son lieu de travail, à Ben Arous. C'est ainsi qu'il a été suspecté et arrêté en 2007 dans la vague des arrestations massives qui ont suivi l'affaire de Soliman. Après six mois d'enquête et un non-lieu, il a été libéré. Mais le mal était fait... ». Le sentiment d'injustice conjugué à la découverte du salafisme dont se revendiquaient ses compagnons de cellule, Y. est sorti de prison avec des titres de livres, des adresses de mosquées et des références de vidéos à consulter... «Sa proximité avec les salafistes de retour d'Irak et d'Afghanistan a complètement changé sa vie. Il s'est peu à peu détaché de nous et s'est rapproché de ses frères de religion dans les quartiers défavorisés où il passait le plus clair de son temps. Il s'en voulait et nous en voulait d'habiter un quartier résidentiel et d'être aisés. Il distribuait tout son salaire en dons et en prêts». A nouveau arrêté en novembre 2009, Y. sera relâché en novembre 2010. Et quand vient le 14 janvier, ses retrouvailles avec ses compagnons de cellule fraîchement libérés donnera un tout autre sens à sa vie. «Il a commencé à parler de jihad, à participer à des rencontres, des prêches et des caravanes de solidarité. A la mort de Ben Laden, il a participé à la prière de l'absent menée par Abu Yadh au campus universitaire. Depuis, il a fait partie des Ansar Echariaâ... J'ai senti qu'il est sorti de notre lignée et s'est inscrit dans celle de Ben Laden et d'Abu Yadh... ». « Il est mort, mais il n'y a aucune trace de lui sur les listes des martyrs » Le 12 octobre 2011 et alors même que le conflit syrien prenait sa tournure militaire, Y. a prétexté quelques jours de vacances dans le Sud tunisien, mais sitôt la frontière de Ras Jedir passée, il a téléphoné à sa mère pour lui annoncer qu'il était en réalité en Libye. Au début, il a appelé régulièrement d'un numéro de 4 chiffres qu'il était impossible de rappeler. Après, ses appels se sont espacés. Six mois après, le 1er juillet 2012, il a appelé de Benghazi et à nouveau plus de nouvelles jusqu'au 22 septembre 2012. «Quand il m'a annoncé qu'il était en Syrie, je ne l'ai pas cru... Alors il a insisté. Il a dit : je suis à Alep, machaallah, ils nous ont très bien accueillis... », s'étouffe R. en tournant et retournant le petit bout de papier usé sur lequel elle a noté les dates des communications et les numéros de téléphone. «Mon fils est très méticuleux. Il ne fait rien au hasard. Je suis sûr que tout cela a été très bien organisé». Le 25 novembre 2012, R. reçoit l'appel d'un « frère de religion » lui annonçant le décès de son fils survenu il y a deux semaines déjà. La voix disait : «Cette donnée est sûre. Il a demandé à ce qu'on n'appelle ses parents qu'en cas de décès et non en cas de blessures ou d'emprisonnement. Votre fils a combattu dans les rangs de Jabhet Al Nosra». Des nuits à naviguer sur les pages Facebook et toutes les sources où s'affichent les portraits et les listes des martyrs. R. n'aura jamais la preuve. Connaître la vérité est désormais son combat. «Il me demandait de prier pour qu'il meure au combat... Des fois, je me dis, il a enfin eu ce qu'il désirait le plus au monde. D'autre fois, je suis incapable de dire : Allah yarhmou...». Et quand la douleur devient insoutenable, R. relit ce texto où son fils lui écrit : «Ne me demande surtout pas où je suis. Je ne te dirai jamais la vérité. Tu sais très bien pourquoi. Nous n'avons pas la même vision du monde. Pour moi partir le plus tôt serait le mieux. Si jamais l'un de nous meurt avant l'autre, ce n'est pas la fin du monde... ».