La dernière mouture de la Constitution, révélée il y a deux jours, est particulièrement controversée. Elle a pris de court tout le monde, ou presque. Maya Jeribi, secrétaire générale du parti Al Joumhouri, a même déclaré que le dialogue des partis organisé sous la férule de la présidence de la République risque de tourner court. Motif, on y discutait précisément de questions constitutionnelles. D'une certaine manière, on a l'impression que le vin est tiré. Et qu'il faut le boire. Et les plus ravisés de s'en remettre aux fondamentaux. Dans l'Esprit des lois, Montesquieu dit qu'«il est parfois nécessaire de changer certaines lois, mais le cas est rare, et lorsqu'il arrive, il ne faut y toucher que d'une main tremblante». Il précise également que «comme les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires, celles qu'on peut éluder affaiblissent la législation». La Constitution est la Loi fondamentale. On l'écrit avec une main tremblante. Et elle requiert le consensus. Autrement, elle s'avère mort-née, désuète avant même d'exister. Ce qui caractérise le projet de la nouvelle Constitution, c'est qu'elle est la résultante d'une somme d'arrangements partisans. Cela lui confère cet air épars, d'inachèvement, voire de fourvoiement dans les méandres de la politique politicienne. Elle multiplie les maladresses et les bourdes, tant et si mal, qu'elle accouche d'une somme nulle. Et l'on se demande pourquoi avoir perdu un si grand temps pour accoucher de ça. Il aurait tout simplement fallu s'en remettre d'emblée aux experts. D'autant plus que dès l'avènement de l'Assemblée constituante, il y a dix-sept mois, plusieurs projets constitutionnels étaient fin prêts. Et maintenant, que faudrait-il faire ? L'absence de consensus sur la nouvelle Constitution risque de s'avérer coûteuse. En temps, en moyens et en stabilité politique. Ne nous y trompons pas, la mouture de départ ne présage rien de bon. Le sur mesure politique et idéologique partisan y prédomine. Le texte constitutionnel est davantage un cliché, un instantané des rapports de force actuels qu'autre chose. Pourtant, la règle de droit est, par essence, impersonnelle et générale. Elle est appelée à perdurer. Elle ne saurait répondre aux contingences des partis. Surtout en période de transition plutôt bloquée que fluide. Là où les protagonistes sont parfois infirmes. Il incombe au président de l'Assemblée constituante de pallier les blocages probables. L'attentisme manifeste de M. Mustapha Ben Jaâfar a été jusqu'ici à l'origine de la persistance des pommes de discorde. Son alliance dans la Troïka gouvernante l'a emporté sur son statut de régulateur des tendances et orientations forcément divergentes à l'Assemblée. Dès la proclamation des résultats des élections du 23 octobre 2011, Ben Jaâfar avait prôné le concept d'alliance sur la base de l'intérêt national. On croyait alors dur comme fer que la Troïka serait inébranlable, soudée, unie à toute épreuve. Et puis l'usure du pouvoir a été brutale. La Troïka s'est fragmentée. Le CPR et Ettakatol ont eu maille à partir avec les démons des scissions, des divisions et des désaffections. Leurs rangs se sont clairsemés. Ennahdha a calé dans une attitude de confrontation tous azimuts, avec la société civile, les syndicats, les médias. Et Mustapha Ben Jaâfar s'est retrouvé dans la tourmente du bras de fer majorité-opposition. En s'assumant plutôt pouvoir qu'instance de régulation. Son attentisme a généré bien des malentendus. Pour l'opposition, il s'agirait plutôt de compromission. A l'instar du CPR, Ettakatol a perdu son lustre social-démocrate. Il en est résulté une situation laissant largement les mains libres à Ennahdha et à ses jongleurs dans les coulisses et les travées de l'Assemblée. Le projet du texte de la Constitution traduit cela. Amplement.