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Le Fort de l'Ambre ou l'écrin rêvé
Bonnes feuilles - Récit d'un voyage en Inde
Publié dans La Presse de Tunisie le 30 - 04 - 2013

Le voyage, l'étude et l'écriture, trinité enchantée, habitent le versant ensoleillé de l'histoire de l'écrivaine suisse Yvonne Bercher. Voilà plus de dix ans qu'à petits pas, elle arpente avec entêtement et délice l'Orient, cet univers qui élargit son monde intérieur, ses rêves et sa réflexion. Elle relate dans la neuvième partie de ces feuilles quelques épisodes de son dernier récit consacré à l'Inde, berceau des civilisations.
Au fil de nos déplacements, nous allions découvrir ces impressionnants forts qui conjuguent rudesse et raffinement, l'une des célébrités du Rajasthan.
Après avoir pénétré dans un couloir étonnamment dépouillé, d'un blanc inattendu, rythmé par une suite d'arcs brisés, qui aurait pu le situer à Cordoue comme à Florence, et dans lequel circulait un courant d'air caressant, on débouchait dans une immense cour. Des éléphants caparaçonnés de couleurs joyeuses y déambulaient d'un pas précautionneux. Vue de loin, leur peau avait la texture du roc. Ces énormes masses, qui se mettaient en mouvement avec majesté, dans une enceinte à leur échelle, avaient quelque chose de seigneurial. Si de fins cornacs au teint bistré et tout en muscles avaient chevauché ces montagnes flegmatiques, le spectacle aurait été parfait. Mais en lieu et place, des Occidentaux blêmes et mous se faisaient promener avec componction et gravité. Nul sourire ne venait éclairer leur visage figé. L'un de ces hommes du nord gisait à terre, après avoir chuté. Autour de lui, tout un attroupement d'Indiens aux petits soins, occupés à panser sa cheville, s'était créé. Un peu plus loin, des Japonais, abrités sous un parapluie recyclé en parasol, considéraient le spectacle avec une certaine distance. Une lumière incandescente plaquait au sol les volumes et anéantissait les formes. Le souffle court, on se sentait pratiquement épinglé par la chaleur. L'été brûlait. J'étais aux anges.
Des surveillantes en tenue kaki ponctuaient l'espace, l'œil à tout. Paradoxalement, cet uniforme international à la connotation guerrière soulignait une féminité qui, elle, n'avait rien de militaire. Munies d'un strident sifflet que l'on entendait de temps à autre, ces beautés énergiques rappelaient vigoureusement à l'ordre les imprudents, les maladroits téméraires et ceux qui seraient tentés d'en prendre un peu trop à leur aise. De certains points de vue vertigineux, par balourdise ou inattention, il aurait été vite fait de chuter de plusieurs dizaines de mètres.
L'ampleur phénoménale de la construction couleur de l'or avait permis une fantaisie d'une jubilatoire délicatesse. Vastes esplanades, escaliers menant d'un corps de bâtiment à la cour centrale, murs entièrement décorés de peintures, aux teintes fanées par le temps, colonnes, moucharabiehs, la fonction guerrière n'excluait nullement le faste. Les seigneurs de la contrée des pierres précieuses pouvaient, de leurs terrasses, regarder venir l'ennemi en écoutant le chant des hirondelles.
Des environs montagneux du Fort de l'Ambre, écrin rêvé de cette construction majestueuse, équilibrée comme une symphonie, se dégageait une impression d'homogénéité rassurante. Le lieu d'implantation du château avait été minutieusement choisi. Ce bastion rajpoute trônait dans un paysage relativement sec et peu arborisé, dominant une rivière et des jardins ouvragés comme un damier. Longeant les crêtes des collines avoisinantes, une véritable muraille de Chine, qui avait nécessité des centaines de milliers d'heures de travail et des tonnes de pierres, serpentait, s'étendait comme un ruban, aussi loin que portait la vue.
Citoyens toujours bridés d'un tout petit pays quadrillé, mutilé, saccagé par les verrues de béton, nous baignions dans un sentiment de détente qui tenait de la rédemption. Sur des dizaines de kilomètres carrés, enfin, nous pouvions contempler des panoramas que rien, strictement rien, ne venait enlaidir. Notre regard s'envolait vers l'absolu et notre cœur exultait.
À l'intérieur du fort, d'amples pièces avaient été tapissées de petits miroirs qui en démultipliaient le charme, introduisant un aspect dynamique, ondulant et mobile dans ces vastes chambres. Des vitraux aux couleurs pimpantes faisaient valoir des peintures fleuries aux teintes chaudes, soutenues et délicates. Il me fallut bien quelques instants pour trouver à quoi me renvoyaient ces verres colorés. Ces rosaces qui surmontaient des portes avaient conduit mon imagination au Yémen, cette Arabie heureuse qu'un jour, je voudrais parcourir, et où l'on retrouve ce même type de vitraux, entrevus pour l'instant uniquement dans des livres.
Mandawa
Les jours succédaient aux jours. Comme une portée musicale, le voyage se déroulait, avec ses temps forts, presque assourdissants, qui nous laissaient sonnés, ses points d'orgue et ses brèves descentes, nécessaires à reprendre notre souffle. Je m'ingéniais à vivre chaque seconde en toute conscience, à faire de chaque respiration cette poussière d'étoiles qui illuminerait les interminables mois de grisaille industrieuse et triste que représente l'hiver helvétique.
En route pour Jaiselmer, c'est uniquement pour couper cette transhumance sans fin vers les sables et reprendre notre souffle que nous fîmes halte dans ce patelin nostalgique, languissant et déserté, où tout semblait anémié et ralenti. Malgré la misère qui s'exhalait de ce village perdu, d'une fastueuse mélancolie, semi-abandonné, presque expirant, on trouvait encore les traces d'une période plus prospère : de belles maisons enduites d'un jaune pâle sur lequel dansaient des peintures aux pigments évanouis. Mais on peinait à croire qu'un quelconque dynamisme ait pu un jour se déployer dans cette bourgade à l'écart de tout. Ici, même les vaches me semblaient plus maigres et flegmatiques qu'ailleurs. Ces divinités vivantes, emblèmes de l'Inde de Gandhi, leurs propriétaires les congédient paisiblement lorsqu'elles ne produisent plus de lait. Elles rejoignent ainsi leurs sœurs qui déjà encombrent la rue et, vaguement, survivent. Et quand la disette se fait trop impérieuse, on les voit, qui tentent d'entrer dans les maisons, donnant lieu à des scènes cocasses. Leur contribution à l'engorgement du trafic représente l'un des labels de la route indienne.
Peu à peu, à la faveur d'une petite promenade pour prendre nos repères, notre regard embrassait les détails de cet environnement rural. Des puits entourés de quatre fines colonnes, surmontées d'un bulbe, ponctuaient la campagne. Déposées ici et là, au bord du chemin, d'immenses dalles d'une sorte d'ardoise claire devaient être, vu leur abondance, extraites dans la région. Dans ce pays très minéral, l'utilisation de la pierre témoignait un peu partout d'une connivence de bon aloi avec ce matériel noble. Délimitant des champs, un peu plus loin, nous fûmes frappés par de grands rectangles de grès rouge, dressés en hauteur comme des menhirs. L'aspect à la fois soigné, artistique et défensif de ces clôtures suggérait une rigoureuse netteté dans le partage des terres.
Juste à côté d'une modeste mosquée relativement récente et bien entretenue, aux fins minarets bleu ciel et blancs, vivait l'imam, père ventripotent de nombreux petits mâles qui se tenaient à une distance prudente, ne manquant pas une miette du débarquement de ces visiteurs inattendus. Fièrement campé, une canne à la main, qui lui conférait une certaine majesté, cet homme de Dieu qui ne devait pas dépasser les trente-cinq ans, était vêtu d'une superposition de tuniques. Visiblement diverti par notre incursion, il m'engagea très spontanément à le photographier avec son fils aîné, Adrien et le chauffeur. En entendant dans la bouche d'une étrangère, dont il ne situait sans doute pas le pays sur une carte, la langue du Prophète, il semblait baigner dans un nirvana qui s'accrut encore au moment où il me vit sortir de ma besace un foulard pour pénétrer dans la maison d'Allah. Une aumône bienvenue compléta son bonheur. Comme ses coreligionnaires avec lesquels je m'étais déjà entretenue, il parlait l'ourdou et de l'arabe, il ne connaissait que quelques vagues rudiments. Brève, mais heureuse, cette intrusion m'avait reconnectée à mes voyages en terre arabe, la référence par excellence.
À quelque distance, dans un petit local donnant sur la rue, quelques tailleurs, assis l'un derrière l'autre comme de studieux écoliers, œuvraient avec application sur des machines à coudre noires antédiluviennes, véritables meubles style Art nouveau, très bien entretenues. L'après-midi, qui tirait à sa fin, nous avait ramenés à notre logis, oasis de confort dans le dénuement.
Depuis la terrasse de notre joli hôtel, au plafond en caissons blancs finement peints de couleurs fraîches et ornés de ces luminaires en bulbes typiques du Rajasthan, nous entendions tout à fait distinctement la mélopée incantatoire et traînante du muezzin. À l'image du zèle religieux de cette contrée, elle me semblait toutefois un peu escamotée. La vue embrassait les quatre points cardinaux. Un temple hindouiste, pain de sucre pratiquement superposé aux minarets d'une mosquée, se détachait sur le ciel en ombre chinoise.
De ce lieu élégiaque et champêtre, je conserverai avant tout le souvenir d'un réveil différent de tous ceux vécus en Inde. À l'aurore, un concert de cris désespérés et dissonants de paons, mêlés d'aboiements de chiens errants, avait mis un terme à ma courte nuit.
Sans déranger Adrien, je me glissai dans mes vêtements pour, dans ce matin frais comme un bonbon à la menthe et cet air propre, monter d'un pas alerte sur la terrasse. Je me réjouissais de contempler le soleil prenant possession du panorama et le déploiement des premières activités paysannes. Alors que, de l'escalier, je débouchai sur le toit plat, tout près de moi, je vis lourdement s'élever dans le ciel un oiseau brun cyclopéen. Aigle ou vautour? Je ne le saurai jamais parce que, sous l'effet de la surprise, un bête mouvement de recul m'avait privée, le temps que le volatile disparaisse, de mes facultés d'observation.
Devant l'hôtel, à quelques mètres de la route, un homme entre deux âges, à la fine stature, dormait résolument sous un tissu imprimé d'éléphants aux teintes chantantes. Probablement pour faire échec aux espèces rampantes, il avait installé son matelas sur deux tables. Au pied de ce grabat improvisé, ses chaussures noires étaient disposées en V, comme les ballerines d'une danseuse. Paradoxalement, par la confiance dont elle témoignait, la totale vulnérabilité de cet être frêle, endormi pratiquement au bord d'une route, représentait un spectacle fugace et gracieux de libération.
A mesure que le temps s'écoulait, ces impressions se superposaient en une fresque intime, symphonie qui sollicitait tous les sens et prenait de la profondeur, pour finalement composer ce tableau qui me persuada que décidément, nous avions changé de monde. Dans cette élaboration qui aérait mon inconscient et vivifiait mon conscient, les bruits de la nature jouaient un rôle magistral, enveloppant, initiatique.


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