Nous continuons la publication des bonnes feuilles du récent ouvrage d'un récit de voyage de Yvonne Bercher, auteure suisse, qui a pour intitulé «Récits et réflexions d'une touriste sous l'ère Ben Ali ». En 2006, 2007 et 2008, l'auteure qui s'est rendue en Tunisie, a accumulé une expérience à la fois sensitive, affective et intellectuelle d'un voyage dans un pays où le feu était déjà sous la cendre. Trois heures relaxantes de train nous conduisent dans cette ville. La conversation s'engage avec ma voisine, une femme de peu mon aînée, aux contours amples et imprécis, usée par la vie. Parmi d'autres maux, le diabète, qui semble fréquent dans le pays, lui gâche la vie. Soucieuse comme une mère face à sa progéniture, elle me met en garde contre l'omniprésence des voleurs et situe le salaire moyen des Tunisiens à cinq cents dinars environ, l'équivalent à peu de choses près de cinq cents de nos francs, et le SMIG autour de deux cents dinars. A destination, nous trouvons notre hôtel, réservé par le truchement d'un ami. Nous n'y resterons que deux nuits. Ce sera amplement suffisant, vu le côté touristique de l'endroit. Lieu anonyme mais propre, vaste et fonctionnel, offrant quelque cent cinquante chambres, et des couloirs qui n'en finissent plus, l'hôtel Esplanade nous permet de nous reposer d'un sommeil profond et sans rêve. Nous prenons nos aises dans l'espace d'une vaste chambre climatisée, avec vue sur une piscine, à deux pas de la Méditerranée. Une fois installés, nous mettons le cap sur les murailles. Naïvement, nous nous engageons séparément dans un labyrinthe où nous peinons à nous rejoindre, nous saluant à quelques mètres. Un festival de musique, essentiellement européenne, hymne à l'atmosphère estivale qui nous pénètre et nous accompagne, anime l'endroit. En sirotant un café, j'entends des rengaines des années 70 à 80, les tubes de ma génération, comme si par définition, on ne pouvait s'approprier qu'une petite tranche de temps et une musique strictement typée. Nous mettons ensuite le cap sur le Mausolée Habib Bourguiba, édifié à la gloire du chef d'Etat, qui naquit et vécut à Monastir. Cet hymne à l'éternité, le Père de la Patrie l'a pensé et planifié lui-même. Alors qu'il était Premier ministre, en 1957, Bourguiba acquit le terrain destiné à accueillir le monument, bâti en 1963. Il nourrissait le projet d'y regrouper les tombes de sa famille. L'édifice fut remanié en 1978. Une vaste avenue pavée, de plusieurs centaines de mètres de long, ornée de motifs blancs en croissant y conduit, démontrant ce que l'on sait depuis longtemps: l'espace est l'apanage des riches. Proche des murailles, un édifice religieux au dôme blanc, entouré de colonnes en marbre blanc, abrite probablement les reliques d'un saint. Ce n'est pas le seul marabout de l'endroit. A droite et à gauche de l'avenue, un immense cimetière respire la paix, de par son unité. Des stèles blanches, presque à perte de vue, orientées comme il se doit vers l'est, baignent dans une lumière caressante et scintillante de fin d'après-midi. Ici ou là, un laurier rose arborescent, qui se balance dans le vent, un palmier ou un ficus rompent la monotonie et rythment l'espace. Au bout de l'avenue, un dôme cannelé de jaune, rehaussé de quatre boules dorées, trône entre deux minarets hexagonaux, qui cachent des dômes verts. Le tout, encadré des deux côtés de colonnades, respire une majesté tranquille, par sa symétrie, ses proportions et la qualité des matériaux choisis, essentiellement des marbres clairs. De hautes grilles et un portail orné de calligraphies, entourent l'édifice. Quelques étrangers prospectant paisiblement les lieux et un ou deux gardiens amènes, confèrent à l'endroit une ambiance qui n'a rien de solennel, ni de militaire. Quelle différence avec la Syrie, où, deux ans auparavant, je visitai sur la pointe des pieds le mausolée Hafez El Assad, dans lequel le dictateur, pourtant disparu, semblait continuer à exercer la terreur! Les volutes d'encens et les fleurs fraîches ne faisaient pas oublier les soldats en armes au garde-à-vous, et l'on sentait que la moindre faute de goût, même involontaire, entraînerait des sanctions radicales. Par sa pureté comme par sa variété, l'architecture islamique constitue un des buts de mes voyages. Déclinée dans tous les styles, alliant le faste à la simplicité, elle comble aussi bien les sens que l'esprit. Une lumière déclinante accompagne notre tour de ville. Dans une cour, nous observons longuement un faucon captif, attaché sur une branche. Le sort de cet oiseau de proie, fétiche pour les Arabes, exhibé aux touristes, nous peine et nous irrite. Musée du costume Malgré le tintamarre autour de la piscine jusque tard dans la nuit, nous avons dormi d'un sommeil de soie, dans une fraîcheur de quelque vingt degrés, luxe boréal qui vaudra du reste un rhume à Adrien. Dans une vaste salle à manger, investie par une colonie d'enfants d'une mauvaise éducation jubilatoire, nous ingurgitons un opulent petit déjeuner, profitant d'une variété qui tranche avec notre quotidien plutôt frugal. Alors qu'Aritz et Adrien vont se baigner, je me dirige vers le mausolée, fermé la veille. Un cheikh édenté, vêtu de blanc immaculé, me repère immédiatement, et me dispense force explications sur le cimetière. J'apprends ainsi que la configuration de la tombe donne des renseignements sur l'identité du défunt. Ensuite, je visite le tombeau du libérateur de la Tunisie, présenté comme un joyau dans un écrin, au milieu d'une pièce à galeries où dominent le marbre blanc et le doré. Un sol sombre et brillant comme la surface d'un lac contraste avec des murs clairs. Un mihrab rutilant, encadré de noir et de blanc, marque le caractère sacré de l'endroit. Les ablutions récréatives des enfants achevées, nous entamons un tour de ville et jetons notre dévolu sur le musée du costume. Une vingtaine de tenues de mariées, datant des XVIIe et XVIIIe siècles, y est exposée. Le caractère écrasant de la contrainte qui pèse sur les femmes s'exprime aussi bien par le poids du costume, la peine que nécessite sa confection, que le caractère résolument codifié des formes et des couleurs. Ainsi, mise au travail vers neuf ans, la petite fille brodait de larges tuniques avec des fils d'or et d'argent. Le jaune, la plus prisée des teintes orientales, constituait la couleur des souverains sassanides, (dynastie perse qui renversa les Parthes et régna du troisième au septième siècle.) Il s'obtenait à partir de grenades ou de safran. Les étamines de crocus furent également employées pour décorer les documents officiels, sous l'influence de la Chine, où le jaune représentait la couleur impériale. Certains motifs, comme le poisson, censés éloigner le mauvais œil, connaissent une utilisation de longue date. Aux environs de quatorze ans, la jeune vierge était prête pour la présentation à un époux qu'elle n'avait ni choisi ni même rencontré. La cérémonie durait une semaine et impliquait des changements de tenues, certaines masquant le visage. On a parfois estimé que les Berbères pourraient venir du nord, car certains étaient grands, clairs, des prunelles azur irradiant leur visage.