Inspirés de quelques vers sur la transmission de l'identité, du poète palestinien Mahmoud Derwich, quatre cinéastes de quatre pays arabes différents revisitent le passé pour mieux comprendre le présent et appréhender l'avenir. Ce voyage en trois temps, les cinéastes Nassim Amaouche, Maîss Darwazeh, Erige Sehiri et Sameh Zoabi le font en compagnie de leurs parents. Comme tous les parents du monde, ces derniers ont transmis des gènes, une histoire de vie et des valeurs. Mais jusqu'à quel point cet héritage peut-il aider à savoir qui nous sommes ? Comment établir le rapport avec soi, sans soulever le problème du devenir et de nos rapports avec les autres? Comment se reconnaître dans une société, déjà, en mal de repères ? Vivant en France, Nassim Amaouche, l'Algérien, retourne avec son père en Kabylie, pour creuser dans les ruines, dans l'espoir de retrouver une mémoire enfouie sous les décombres. Le cinéaste avait besoin de se « repositionner » en partageant les souvenirs oubliés de son père: ceux d'une enfance arrêtée en 1957, le jour où son village a été bombardé et rasé par l'armée française. La Tunisienne Erige Shiri, quant à elle, a choisi de suivre son père, en une visite prolongée à Kesra, son village d'origine. Ce dernier voulait retrouver ses repères, sa terre, ses cousins et ses amis. Il semblerait que la révolution vécue à travers Facebook, auquel il est accro, l'avait déjà éloigné de France, le pays où il est allé se reconstruire, cela fait 40 ans. En filmant son père dans tous ses états, la jeune réalisatrice voulait peut-être savoir à qui elle ressemblerait quarante ans plus tard... Pour Sameh Zoabi, le Palestinien, le fait de faire le voyage de New York jusqu'en Galilée, dans le but de convaincre son ami d'enfance de se trouver une épouse, s'avère un prétexte. Lui, qui est déjà marié à Manal, une Américaine d'origine arabe, avait également besoin de trouver une réponse à la question suivante: qui serais-je si j' 'étais resté vivre en territoires occupés, et si je m'étais marié, tout comme mes amis d'enfance, à une Palestinienne pure souche ? Mais pour Maïss Darwazeh, née à Amman, de mère syrienne et de père palestinien qui se sont rencontrés à Beyrouth, c'est encore plus compliqué. Vivant dans un pays peuplé de personnes déracinées, l'auteur du film «Album de famille» doit apprendre à fabriquer sa propre identité et à «se concocter» une vie de femme seule. Elle a beau interroger ses parents sur ses origines, son identité reste floue. Lequel des héritages doit-elle porter ? Où se trouvent ses racines ? Dans les territoires occupés ou dans une Syrie suicidaire ? Surtout pas dans cette ville, décorée par les portraits du roi et où est écrit en lettres géantes dans les squares: «Allah, le roi et la patrie sont au-dessus de tous». Darwazeh le dit avec subtilité, comme ça, en passant, sans forcer le trait. Elle a même trouvé un fil conducteur très original pour son film : une invitation à dîner. C'est en se concoctant de bons petits plats orientaux qu'elle essaye de se reconnaître. L'identité ne se modèle-t-elle pas en fonction de nos expériences et de nos rencontres ? Quoi de mieux qu'un bon dîner en famille et entre amis pour vivre pleinement au présent ? Il suffit d'un zeste de justice, de loyauté, d'une pincée de courage et d'une goutte d'amour pour « être ». Mais le plat principal de Darwazeh finit par cramer, et c'est la chute de ce film, écrit comme une fiction. Que doit-on comprendre avec cette fin ? Que tout peut arriver? Certes, mais nous pensons que la métaphore du dîner a quand même servi à quelque chose : à éveiller nos sens. Ce sont ces derniers qui captent les expériences, et qui font ce qu'on est, ce qu'on a été et ce que nous serons. En conclusion, s'il y a «héritage» à transmettre, c'est bien nous qui le fabriquons.