Appel à mettre la religion à l'écart des tiraillements politiques et à remettre le processus constitutionnel sur les rails, loin des influences idéologiques et autres purement politiques et partisanes Le troisième brouillon du projet de la Constitution tunisienne ne cesse de susciter des réactions. Les lectures sont multiples et les défaillances et autres possibles interprétations des textes sont évoquées et par les experts en droit constitutionnel et par les représentants de la société civile. La journée d'étude organisée hier par l'Observatoire arabe des religions et des libertés et la fondation Konrad-Adenauer n'a pas dérogé à cette tendance de critique envers ce dernier projet. Un projet qui a été refusé par certains et qui, selon d'autres, comprend des points positifs mais aussi des points à rectifier... Le représentant résident de le Fondation Konrad-Adenauer à Tunis, Hardy Ostry, a insisté dans son allocution sur l'intérêt de la conscience du peuple tunisien quant à l'importance de cette deuxième Constitution, tout en indiquant que l'organisme qu'il représente soutient le processus transitionnel pour qu'il aboutisse à un consensus plus large. Entrant dans le vif du sujet, Salsabil Klibi, professeur de droit constitutionnel, a souligné pour sa part que ce projet de Constitution a été imprégné par une multitude de tendances idéologiques et autres politiques qui prévalent sur la scène politique nationale et marquent les travaux de l'Assemblée nationale constituante. « Il y a une certaine prédominance de la dimension cumulative aux dépens de la dimension consensuelle. Il y a deux visions qui se contredisent et c'est dès le départ avec le préambule entre l'universalité des droits de l'Homme et les spécificités culturelles tunisiennes», a-t-elle expliqué. De même, elle a indiqué que les droits et les libertés qui ont été cités et énumérés exhaustivement n'ont pas bien couvert les droits sociaux et économiques. «Le renvoi récurrent à la législation est un défaut qui se répète comme c'était le cas pour la Constitution de 1959. Dans ce sens, il faudra respecter la relation verticale entre la Constitution et les lois et préserver les droits et les libertés de la relation verticale entre le pouvoir et la société», a-t-elle ajouté. Eliminer le préambule L'influence et la répercussion des tiraillements politiques sur le projet de la Constitution ont été reprises par Mohamed Haddad, président de l'Observatoire arabe des religions et des libertés. Il a, en effet, insisté sur la prédominance des négociations politiques sur l'écriture et le contenu de la Constitution, tout en indiquant que le processus constitutionnel devrait se baser sur une vision consensuelle. «Partons du préambule de la Constitution. Ce brouillon revêt une dimension philosophique, ce qui n'est pas le rôle de l'ANC qui devrait plutôt donner des procédures interdisant à l'Etat de limiter les libertés et aux citoyens de s'attaquer les uns aux autres. Si un étudiant à l'université avait écrit le préambule de la même façon que l'ANC, il aurait eu zéro comme note», a enchaîné Haddad sur un ton satirique vers la fin. Il a, dans ce sens, appelé à éliminer le préambule et à le remplacer par un petit paragraphe qui valoriserait la révolution tunisienne, tout en insistant sur le rôle de la jeunesse dans cette révolution. «Les éléments cités dans le préambule comme la religion, la langue, l'esprit civil de l'Etat et les libertés, sont tous cités dans des articles de la Constitution. Cela renforce l'inutilité du préambule dans lequel on a fourré des notions ambiguës qui pourraient être sujettes à des différends entre les différentes sensibilités politiques et idéologiques qui coexistent en Tunisie», a-t-il expliqué. Insistant sur la prédominance des négociations et des tiraillements partisans sur la rédaction de la Constitution, Haddad a affirmé que le transfert des négociations à Carthage n'est qu'une confirmation du blocage du processus constitutionnel. Revenant sur les termes et les notions jugés flous, il a proposé des formulations pour certains articles de la Constitution dont ceux portant sur les droits de l'Homme. Il a indiqué, d'autre part, que certains points sont positifs dans ce brouillon à l'instar de la déclaration claire de l'Etat civil. Pour sa part, Rym Majdoub, constituante du Bloc démocratique, a tiré la sonnette d'alarme face aux abus de la commission des experts désignés pour rectifier la Constitution. Elle a affirmé que cette commission a favorisé une certaine vision de la Constitution basée sur la peur des péripéties de la référence religieuse, des libertés, des conventions internationales et du régime politique. Un projet dénaturé «Cette commission a éliminé plusieurs articles qui ont été le sujet d'un consensus à l'Assemblée dont ceux relatifs au contrôle démocratique de la sécurité nationale. Elle a aussi dénaturé des articles portant sur les droits et les libertés. De même, la justice, après ces modifications, n'est plus un pouvoir et les cinq instances constitutionnelles auxquelles l'on a appelé, elle les a réduites à deux seulement... Cette instance a outrepassé ses prérogatives pour dénaturer le projet de la Constitution. A l'ANC, nous avons refusé les travaux de cette commission et les modifications qu'elle a apportées sur le sujet. Nous avons aussi appelé à un retour aux travaux des commissions de l'ANC pour finir la rédaction de la Constitution», a ajouté Majdoub. Elle a affirmé que «ce qui est à rectifier doit être fait maintenant, sinon après ce sera trop tard». Mohamed Goumani, secrétaire général du parti Al Islah Wel tanmya, a, quant à lui, critiqué les travaux de l'ANC qui, d'après lui, n'a pas traité les questions principales dans le processus constitutionnel, indiquant que le 3e brouillon de la Constitution n'est pas sujet de consensus. «Cependant, a-t-il ajouté, nous ne pouvons dépasser les points positifs de ce projet même s'il est formulé avec deux visions parallèles qui sont claires dans les articles. C'est qu'il n'y a pas un esprit unique dans ce projet, d'une part il y a une orientation moderniste et, de l'autre, une orientation islamique refusant les poussées positives de l'Etat civil moderne». L'interférence entre les fondements de l'Islam dont des notions ont été jugées floues au sujet de multiples interprétations et des questions comme les droits et les libertés ou le régime politique et autres questions majeures, ne fait, d'après les intervenants, que préparer le terrain à une nouvelle dictature et un Etat non civil...