Le rêve de Sisyphe ou Algérie, la réconciliation de Faouzia Fekiri, projeté vendredi dernier au Doc à Tunis, est l'un de ces documentaires qui «font mal» et que l'on n'est pas prêts d'oublier. Car il raconte une triste réalité, celle d'un village gangréné par le terrorisme, et nous projette dans un avenir hélas, possible : le nôtre. Si et seulement si... Il «est une fois», à Oued Hamlil, un village situé à 200 kilomètres de l'ouest d'Alger, un enfant qui s'appelle Kamel. Né d'une mère, soumise aux traditions et à la domination masculine, et d'un père terroriste, mort lors de l'un de « ses combats », ce garçon de onze ans, n'a d'autre choix que de prendre en charge sa petite famille. Il est «l'homme de la maison» qui doit apporter de l'argent et de la nourriture. Mais que peut faire un enfant dans un village où même les adultes ont du mal à trouver du travail? Kamel, accompagné de sa sœur Fatima, demande l'aumône du matin au soir, au risque de ne pas pouvoir rentrer et de se perdre dans l'obscurité de la nuit. Dans ce village déchiré par huit ans de guerre civile et où le fantôme du terrorisme rôde toujours, Kamel se donne pourtant le droit de rêver. Il rêve de faire des études et de devenir instituteur. Une âme sensible lui offre des vêtements et des fournitures scolaires, ce qui lui permet d'aller enfin à l'école et de ressembler aux autres enfants... Mais cette nouvelle réalité est trop belle pour durer. La misère est si grande et l'héritage du père est si lourd que Kamel finit par enlever le tablier de l'école et remettre le costume qui lui colle à la peau, celui du mendiant... Trouvera-t-il sa voie un jour? La métaphore de Sisyphe, ce personnage de la mythologie grecque, n'est pas gratuite. Kamel et beaucoup d'enfants d'Oued Hamlil payent pour les crimes de leurs pères, et ne finissent pas de subir la colère des montagnes où se cachaient les maquis... Mais les habitants du village ne baissent pas les bras. Ce qu'on appelle «les patriotes», armés avec l'autorisation de l'Etat, continuent à surveiller les alentours et à protéger leurs familles et leurs maisons. Oued Hamlil est partagé entre ceux qui acceptent de cohabiter avec les terroristes repentis, et ceux qui ne veulent pas de réconciliation avec le passé. Ces derniers n'arrivent pas à oublier la peur, la terreur et l'horreur... Certaines victimes de la guerre ne rêvent que de vengeance, et transmettent cela à leurs enfants... Dans ce village, il n'y a donc pas qu'un seul Sisyphe et il n'y a pas que le rêve. Il y a encore du désespoir, de la haine et de la honte... Comment peut-on vivre avec ça? Et comment continuer à se dire : «Ça n'arrive qu'aux autres?».