Par Nejib OUERGHI «Nous n'avons qu'un ennemi : la pesanteur», disait un écrivain français. Pour notre part, le principal ennemi de la Tunisie reste, vraisemblablement, la tentation de l'immobilisme qui menace le processus démocratique et toutes les promesses nées de la révolution du 14 janvier 2011. Un immobilisme qui ne cesse d'attiser les tensions et de provoquer des crises à répétition rendant, chaque jour, la définition d'une feuille de route, qui sortirait le pays du flou et du doute, de plus en plus improbable. La lueur d'espoir apparue des convergences issues du dialogue national et du deuxième round de dialogue initié par l'Ugtt risque de voler vite en éclats. Même si tous les protagonistes sont parvenus à des compromis sur toutes les questions politiques, longtemps restées sujets de frictions, l'annonce de la présentation prochaine de la version finale de la nouvelle Constitution a vite provoqué des réactions de dépit. C'est au sein de l'hémicycle de l'ANC (Assemblée nationale constituante) que les premières critiques ont fusé. Les questions qu'on croyait définitivement résolues, à savoir l'équilibre entre les prérogatives du président de la République et du chef du gouvernement, le droit syndical, les libertés... reviennent au-devant de la scène comme si de rien n'était. Subitement, on revient à la case départ et tout reste, semble-t-il, à refaire. Sur un autre plan, la succession d'événements, à la fois inattendus et d'une extrême gravité, nous a replongés dans l'expectative et le doute, reléguant toutes les autres questions au second rang des priorités. Au péril terroriste, qui menace la sécurité du pays, son unité et le modèle de société, s'est ajoutée l'impasse dans laquelle se trouve engluée la nouvelle Isie (Instance supérieure indépendante des élections), dont la naissance et l'entrée en activité font l'objet de contractions douloureuses. Le sévère verdict de la Cour des comptes sur sa gestion financière des élections du 23 octobre 2011 est loin de décrisper les tensions politiques et, encore moins, de construire une plus grande confiance même de mener les prochaines échéances à bon port. Une nouvelle polémique est née au moment qu'il ne faut pas, pouvant rendre caduque la solution du problème du tri des candidatures et un compromis acceptable sur l'échelle d'évaluation. Les deux conférences de presse organisées successivement par la Cour des comptes et le président sortant de l'Isie, à vingt-quatre heures d'intervalle, n'ont fait que susciter un échange de propos, parfois incendiaires, sans plus. Résultat : une atmosphère lourde de suspicion et de doute continue à vicier la vie politique, économique et sociale. Le flou qui entoure la date des élections et la mise en place des instances constitutionnelles est accompagné d'une forte incertitude et d'inquiétudes, de plus en plus lancinantes, au sujet des dossiers économiques et sociaux. Est-il envisageable, dans un tel environnement d'immobilisme et de peur, de restaurer la confiance des opérateurs et d'impulser l'activité économique? Une hypothèse, au demeurant, invraisemblable, au regard de l'aggravation des indicateurs d'activités et des grandes difficultés auxquelles font face les secteurs considérés comme moteurs de la croissance. En raison de la multiplication des pressions, les finances publiques sont mises à rude épreuve, et de sérieuses interrogations se posent au sujet de la capacité du pays à financer le développement et à honorer ses engagements. Même si d'aucuns ne pensent pas que le pays risque de crouler rapidement sous le poids des difficultés, qu'il endure depuis maintenant plus de deux ans, beaucoup pensent qu'à défaut d'une remise rapide de l'ordre dans la gestion du dossier politique notamment, la Tunisie court droit à la faillite. C'est de l'évolution du dossier politique et de la maîtrise du problème de la violence politique et du péril terroriste que dépendront une reprise de l'activité et une reconstruction de la confiance des opérateurs et des partenaires de la Tunisie. Le gouvernement provisoire semble, enfin, avoir pris la mesure de la gravité de la situation et de l'ampleur de la tâche qui lui est dévolue dans cette phase difficile. La mise en demeure de M. Laârayedh, chef du gouvernement provisoire, au mouvement Ansar Echaria, pour qu'il renonce à la violence et au terrorisme, met un terme à un long silence et au laxisme qui a jusqu'ici caractérisé la gestion de ce dossier délicat. En effet, pour restaurer la confiance, il est devenu impérieux de restaurer le rôle de l'Etat et le respect de la loi. L'inflexibilité dont a fait montre le ministère de l'Intérieur dans la gestion de la crise de dimanche dernier a été un bon signal, même si l'on consent que l'éradication de la nébuleuse terroriste exige encore du temps, de la vigilance et de grands sacrifices. Le discours officiel, longtemps laxiste au sujet de ces groupes qui prônent la violence, a changé de ton et de méthode. En pointant du doigt Ansar Echaria, considéré hors-la-loi et engagé dans la violence et le terrorisme, et certains de ses leaders qui trempent dans le terrorisme, le gouvernement provisoire a franchi un pas dans la bonne direction. Pour le consolider, il va falloir susciter un large consensus au sein des forces démocratiques nationales qui sont appelées à œuvrer de concert pour la construction de l'Etat civil et la lutte contre la violence politique et le terrorisme. Les dissensions et les polémiques qui ont prévalu jusqu'à aujourd'hui ont constitué le terreau qui a permis à ces groupes de se renforcer, de s'implanter un peu partout dans le pays et de gagner en mobilité et en nuisance. Retenir la leçon des dures épreuves qu'a connues le pays exige de ne plus tomber dans le travers des divisions, des conflits et des calculs partisans. C'est par ce moyen, et ce moyen seul, qu'il sera possible de transcender toutes les difficultés, de restaurer la confiance et de mobiliser toutes les volontés pour servir un objectif commun, celui de la construction d'une véritable démocratie en Tunisie.