Par Néjib OUERGHI Depuis environ huit mois, la Tunisie est restée suspendue à un hypothétique remaniement ministériel qui, faute d'un consensus, a provoqué une crise politique qui a fini par reproduire une nouvelle troïka certes fragile mais condamnée à sortir le pays d'une longue période de doute et d'attentisme. Cette coalition aura une obligation de résultat et huit mois pour concrétiser ce que le gouvernement Jebali n'avait pas réussi à faire en plus d'un an. Organiser les prochaines élections, restaurer la confiance, l'ordre et la sécurité et faire prévaloir la primauté de la loi. Un véritable challenge. Cela est d'autant plus impérieux qu'un simple constat de la situation politique, économique et sociale qui prévaut actuellement montre que le pays est en train de payer le prix fort de l'absence d'Etat. L'immobilisme ambiant, le blocage du processus de la transition vers la démocratie, le flou omniprésent, l'émergence de la violence politique et du risque terroriste, la fragilisation de la situation sécuritaire et l'aggravation de la crise économique sont le reflet direct de la faiblesse de la puissance publique. Une faiblesse qui se traduit par un coût politique, économique et social. A l'évidence, quand le politique ne laisse filtrer aucun message clair, c'est la confiance qui se trouve entamée. En l'absence de repères, les politiques, les opérateurs économiques, les partenaires de la Tunisie ainsi que le citoyen ordinaire se trouvent dans l'impossibilité d'entreprendre, de planifier, d'anticiper ou de prendre des risques. Tout le monde attend, des mois durant, un signal qui ne vient pas. Un calendrier clair et consensuel qui sortirait le pays du doute, qui redonnerait aux politiques de l'espoir, aux opérateurs une perspective et aux citoyens une plus grande confiance. En lieu et place, on a eu droit à une longue période d'instabilité politique, à l'absence d'une action de développement efficace, à l'aggravation du chômage parmi les jeunes, à l'envolée des prix, à la désorganisation des circuits de distribution et à la montée de l'insécurité et des périls. La puissance de l'Etat, qui est une condition essentielle pour préserver l'harmonie sociale, fait cruellement défaut. La quasi-incapacité de l'autorité publique à restaurer l'ordre et la sécurité, à redonner confiance, à combattre la violence politique, à fournir des réponses convaincantes sur la propagation de la circulation des armes, sur le danger que représentent certains groupes qui n'hésitent pas à utiliser la force illégitime pour changer l'ordre social, laisse perplexe. Pourtant, en politique il est admis que «qui se trompe le moins est celui qui accorde ses moyens avec le temps et les circonstances». Nos politiques semblent n'avoir pas pris la pleine mesure de cette évidence. Au contraire, ils ont persisté dans l'erreur en faisant la sourde oreille aux véritables priorités qu'exige le contexte difficile que connaît le pays. A cet effet, le nouveau gouvernement aura une tâche ardue mais, surtout, trois missions prioritaires à accomplir. D'abord, solutionner le blocage politique en définissant un programme contenant des orientations, des priorités, des politiques et des engagements, qui corrigent le décalage qui existe entre les objectifs et les moyens et les priorités fixées et l'action engagée depuis maintenant plus d'un an. Si le pays se trouve, actuellement, dans une sorte de cercle vicieux, c'est parce qu'on n'a pas su ou pu trouver les bonnes pistes et les bons arbitrages qui permettraient d'élaborer une constitution pour tous les Tunisiens, d'établir une feuille de route qui dissiperait définitivement l'épais flou persistant et de mettre en place les instances (Isie, instance indépendante de la justice et la Haica) sur lesquelles devrait s'articuler l'architecture du régime démocratique souhaité. C'est, également, parce qu'on s'est évertué à perdre du temps et des opportunités en se lançant dans des polémiques et des surenchères qui avaient pour finalité le partage de portefeuilles ministériels, non servir les intérêts de la Tunisie. Ensuite, vaincre le blocage économique, dont les conséquences sont durement ressenties, qui provient de l'absence de toute visibilité à court et à moyen terme. L'incapacité du gouvernement sortant à apporter des réponses à une économie en difficulté et à une population en détresse a précipité la descente aux enfers de secteurs considérés moteurs de la croissance, détérioré davantage l'environnement d'affaires et la perception du site tunisien par les institutions internationales qui ne le considèrent plus comme un bon risque. Transcender, enfin, le blocage social et sécuritaire qui a été alimenté par une instabilité et une insécurité croissantes. L'incapacité du gouvernement à fournir des réponses convaincantes à une population rongée par la peur et le doute, à juguler le phénomène de la multiplication de la circulation des armes, de la violence politique et de l'insécurité, a suscité questionnement et appréhension. Le nouveau gouvernement, formé après des contractions douloureuses, a la lourde responsabilité d'agir vite pour remettre les pendules à l'heure et, surtout, restaurer la confiance. Durant le court intervalle qui lui est imparti, il a une obligation de résultat, encore faut-il qu'il ait suffisamment de volonté et de moyens pour parvenir à cette fin!