Par Sliman LASSOUED Chaque nation possède des dates nationales mémorables et glorieuses qui symbolisent son existence, la fierté de son passé, les trésors de son patrimoine, la garantie de son image de marque à travers le monde. Dans ce contexte, aucun Tunisien et aucune Tunisienne ne peuvent oublier la date du 1er juin 1955 (58e anniversaire cette année). Celle du retour triomphal du leader Habib Bourguiba de son exil en France et l'accueil au port de La Goulette par tout un peuple en délire en signe de reconnaissance et autant avide de sentir pour la première fois le parfum de la liberté et de l'indépendance. A travers des témoignages médiatiques inoubliables, il est utile de rappeler aux nostalgiques des souvenirs de rêve d'une journée céleste et de faire vivre en flash-back aux jeunes générations un événement écrit en lettres d'or dans les annales de l'histoire de la Tunisie moderne... L'arrivée de Bourguiba à Tunis avait un air qu'on ne lui connaissait pas jusqu'alors. Un peuple en liesse y défilait, y criait, y chantait, y pavoisait. «Fête foraine», a-t-on pu dire, mais aussi fête nationale, «air de fronde» pacifique comme l'éclat insolant «d'une maturité longtemps contenue et étouffée». Des drapeaux sans nombre flottaient aux devantures et aux balcons, les voitures en files incessantes couvraient de leurs klaxons un fond de chants et de vivats, les paysans «montés du Sahel», les cavaliers du Sud, les montagnards du Kef et les cultivateurs du Cap Bon avaient mis en commun leur joie et étaient réunis dans le même enthousiasme. Ils avaient littéralement occupé la chaussée. Les quais grouillent, les journalistes et les photographes sont affairés. Le bateau est en vue. Eclats des musiques, montée des rumeurs. Un éclat d'émotion jaillit sur tout cela. Les cœurs des Tunisiens battent violemment, une corde a incontestablement vibré. Il approche. On le devine, on le distingue, on le voit. Alors les mains sans arrêt s'agitent. On voudrait crier ou sauter au cou de son voisin, ou chanter très fort !... Si Habib ! Cher père ! Ami ! Bourguiba descend du bateau, il est accueilli, arraché, happé par ceux-là mêmes venus le protéger des excès de la foule. Il parle, gesticule, rit, pleure. Il n'affecte pas d'attitude, n'observe pas le protocole. Il se jette dans les bras du pays comme on trouve un ami, comme on réalise une passion. Libre dans ses actions comme dans ses gestes. L'enthousiasme qui s'est fait bras, épaules et jambes le porte vers l'estrade où il commence à parler : «Mes enfants». De ces mots improvisés dans la fièvre, la bousculade et la frénésie, il reste ses idées. «Une étape de notre évolution vers l'indépendance est franchie. A présent, il faut travailler dans l'union, l'amicale coopération avec tous les hommes de bonne volonté à édifier l'Etat de demain»... Bourguiba se déchaîne : «Les méthodes qui ont réussi à faire la paix en Tunisie devraient avoir une valeur d'exemple car ce n'est pas par l'emploi de la force que l'on peut résoudre valablement et durablement les problèmes humains», l'ordre a régné. Le Néo-Destour a tenu à ce que d'aucuns considéraient comme une «gageure». 300.000 personnes ont attendu Bourguiba, l'ont vu, écouté, acclamé dans la discipline et l'organisation. Tous les pronostics sont mis en échec et, par la même occasion, un mythe de plus s'écroule. «Les Arabes laissés à eux-mêmes ne sombrent pas dans le désordre et l'anarchie». Bourguiba excelle «Nous nous devons de tirer de ce grand jour une leçon qui doit nous servir d'exemple, un exemple qui sera le flambeau guidant nos pas, le chemin qui nous reste à parcourir. Cette leçon, c'est la nécessité de l'union, de la cohésion dans nos rangs. Nous devons nous considérer comme des frères unis par un même idéal. Cette union ne doit pas se borner aux seuls destouriens, elle concerne, au contraire, tous les citoyens de ce pays, si telle est notre ligne de conduite, si nous suivons cette voie, le monde entier nous respectera et nous serons dignes de la gloire à laquelle nous aspirons et que nous attendons tôt ou tard par notre action, notre union et notre réalisme politique». Bourguiba a défilé sur 20 km au milieu des acclamations de son peuple. Et le contact entre eux était si direct, si intime, si flagrant. Le leader de la nation reprend son souffle et enchaîne : «Maintenant que nous sommes les maîtres du destin de ce pays, que nous devons savoir user de cette souveraineté de façon à en être dignes et de façon à ne pas la perdre de nouveau. C'est pour cela que nous nous devons de respecter quiconque vit sur cette terre, qu'il soit Français ou étranger, et le traiter en frère tant qu'il respectera notre souveraineté, notre personnalité et notre dignité, dans ce cas il sera notre hôte». Après ce bain de souvenir, nous méditons la réussite de la journée du 1er juin 1955 qui a été l'œuvre de tout un peuple en symbiose avec son guide. Leurs points communs étaient de voir la Tunisie libre et indépendante et pour y parvenir, ils ont utilisé «l'arme de l'union sacrée». Ce même temple qui a enfanté la révolution sacrée en scellant son accession à la démocratie, mais malheureusement actuellement, il piétine et tarde à lui offrir de nouveau son union sacrée dont elle a énormément besoin pour se protéger et se consolider pour réaliser ses objectifs et arriver à bon port... et nous continuerons à méditer !