Par Zouheïr EL KADHI Plus de 150 partis politiques, plus de 12.000 associations, de nombreuses commissions, hautes et moins hautes. Si nous avions créé autant de PME, cela aurait généré un peu plus de croissance et amorcé une résorption du chômage. Aujourd'hui, le citoyen tunisien se demande qui fait quoi et plutôt qui doit faire quoi. Le combat pour lequel la société s'est révoltée semble s'être très vite transformé en une course à la part de gâteau. Se soucie-t-on vraiment des jeunes chômeurs, des démunis, du désespoir, de la pauvreté ? Les débats se limitent à une seule question, qui est musulman plus que les autres. Résultat : un sentiment assez, voire largement, partagé que tous bougent pour que rien ne change. Mais attention, face à la montée du chômage et la précarité, la résignation n'est guère acceptable. Attendre l'arme au pied que le cycle économique nous offre la reprise ou que les institutions de Bretton Woods nous accordent des crédits semble tout à fait suicidaire. Aujourd'hui, l'économie tunisienne se trouve paralysée par un climat d'incertitude politique et économique, en témoigne la dernière baisse de la note de la Tunisie par l'agence de rating Moody's. Il est vrai que les enseignements de la révolution ne semblent pas avoir été tirés et les objectifs très vite passés aux oubliettes. Il semble que rien n'ait été appris et le naturel revient au galop. Qu'on se le dise, nous savons tous comment relancer une croissance durable en Tunisie. En permettant à ceux qui veulent créer, risquer et innover de le faire, et donc en réduisant les risques inutiles et les coûts excessifs à le faire. Du côté des risques inutiles, en plus de l'insécurité, il y a la juridiciarisation de la vie économique, l'instabilité des règles ; du côté des coûts, la montagne de papiers, codes, procédures et instances et le tout est accompagné par une fiscalité d'un temps révolu. Que peuvent faire les autorités pour sortir la Tunisie du marasme économique ? A l'heure actuelle, la pente molle du déclin, même temporaire, nous invite à prendre rapidement conscience des chances perdues et les entrepreneurs ne peuvent pas se résoudre à ce que notre pays, par facilité ou manque de courage, ne se donne pas les conditions de la réforme. La vérité est que notre pays est dans une situation difficile. Il est temps de réagir et nous remettre tous ensemble en question. Nous avons un effort de lucidité important à réaliser, et cela dans à peu près tous les domaines, économiques et sociaux. Soyons honnêtes, nous avons un gros problème d'efficacité économique. Il faut avoir la conviction que s'il faut faire des réformes, c'est certes pour construire mieux à terme mais aussi parce que la situation actuelle n'est pas acceptable. Il convient donc, au plus vite, de redéfinir objectifs et moyens, en les mettant au service d'une politique économique résolument offensive et mobilisatrice. Et tout cela, sans négliger les contraintes que nous impose la conjoncture internationale en matière de hausse des cours des matières premières et de l'énergie. Bien entendu, les décideurs hésitent devant les actions à prendre, en attendant l'intervention d'experts et l'écriture de rapports. Mais il est urgent de faire sauter ce blocage. Il est courant que les politiques ne se lancent jamais dans des mesures importantes, et ceci pour deux raisons : d'abord parce qu'elles sont impopulaires et surtout parce qu'elles prennent toujours du temps à faire voir leurs effets positifs, commençant toujours par leurs effets négatifs. Mais l'économie est ainsi faite que l'ajustement produit d'abord l'inverse de ce qu'on recherche. Permettre aux entreprises d'embaucher implique de leur permettre d'ajuster plus aisément leurs effectifs, ce qui se traduit d'abord par des licenciements, jusqu'à ce que les profits remontent et que l'embauche reprenne, avec des sociétés plus solides et moins inquiètes d'embaucher, puisque la correction sera plus aisée. Dans cette perspective, il est important de souligner que notre administration est complètement déconnectée et nécessite une intervention chirurgicale de grande ampleur. Il existe dans notre pays un profond déficit de confiance entre le citoyen et son administration. Le fonctionnaire qui considère l'argent public comme un don du ciel et qu'il est naturel d'en profiter. Le contribuable estime, à raison, qu'il y a trop de gaspillage dans nos administrations, et cherche à éviter de payer les impôts. J'ai aujourd'hui la pleine conviction qu'il faut renouer cette relation de confiance en mettant à la tête de nos administrations une jeunesse dynamique et innovante pour rompre d'une manière quasi définitive avec de vieilles habitudes d'un autre temps. Malgré quelques soubresauts, la société tunisienne a pleinement conscience de la nécessité de cette réforme et de son urgence. Car pour obtenir quelques points de croissance supplémentaires, il va falloir frapper fort. C'est cela qu'attendent les Tunisiens. Ils en ont assez de petites lois votées entre amis. Ils attendent de vraies réformes structurelles pour relancer l'appareil économique car ils savent que le chômage, hélas, progresse. De telles réformes sont parfois douloureuses. Bien sûr, ce n'est jamais facile à accepter mais si on veut guérir, il y a parfois des opérations douloureuses qui s'imposent. Nous devons admettre que les habitudes ont changé et nous devons nous adapter. Nous devons avoir la conviction qu'une croissance inclusive et durable pourrait être notre projet de société. Un tel projet nécessite sans doute beaucoup de bienveillance et de volonté pour pouvoir l'atteindre. De toute évidence, si la Tunisie souhaite vraiment parvenir à satisfaire les besoins et les attentes de son peuple, les hommes politiques devraient tirer les bonnes leçons du passé et éviter surtout de répéter les mêmes erreurs.