En cette période de crise, où le pays connaît un manque de devises, le festival de Carthage se permet des spectacles étrangers à gros budget. Fanfaronnade ou inconscience ? M. Mustapha Kamel Nabli, d'abord, M. Chedly Ayari ensuite, ont, tous deux, tiré la sonnette d'alarme depuis quelque temps quant à la situation précaire que traverse la Tunisie sur le plan économique en général, et pour ce qui concerne les réserves en devises de façon plus particulière. Les deux hommes qui se sont succédé à la tête de la Banque centrale de Tunisie, ne sont pas n'importe qui, ils savent ce qu'ils font et, surtout, ce qu'ils disent. Quand un haut responsable vous dit ‘‘Attention!'', c'est qu'il faut faire attention. On ne badine pas avec leurs paroles, surtout en période de crise. Que cette sonnette d'alarme soit justifiée ou pas (mais avons-nous le droit de mettre en doute l'avis de deux spécialistes intègres et chevronnés ?), il y a tout de même ceci qu'on ne peut récuser : nous sommes réduits à un Etat provisoire, et ceux qui nous gouvernent actuellement n'ont pas administré un seul moment la preuve qu'ils sont vraiment capables de gérer les affaires d'un pays : chômage galopant, insécurité, inflation angoissante, flambée des prix, etc. Nous sommes dans l'obligation d'observer une vigilance extrême pour ne pas sombrer et couler. Et alors ?... Et alors, en cette période cruciale qui exige prudence, maîtrise des dépenses et, osons le mot, austérité, eh bien, le Festival de Carthage ne trouve pas mieux que de faire appel à, au moins, six noms et compagnies de dimension internationale pour les payer, chacune, des sommes astronomiques, bien sûr, en devises! En termes réels, et sans ambages, cela s'appelle : insouciance et inconscience. Un délit d'ordre économique ! Supposons que toutes les vedettes tunisiennes ne vaillent effectivement rien par-devers leurs homologues étrangères. Mais disions-nous, dans le même temps, qu'au prix d'une vedette étrangère, on peut tout de même faire travailler... au moins sept locales. N'y a-t-on pas pensé ? Il semble que si. Sauf que l'argument du ministère de la Culture (en tout cas, celui du responsable du Festival de Carthage) tient en ceci que les vedettes tunisiennes ne font pas le plein à Carthage. Le plein !... En culture, il n'y a pas un seul mot plus obscène, plus ridicule, plus stupide et plus méchant que cet adjectif : plein ! La culture se mesure en termes de ‘‘plein'' et ‘‘vide'' ?... C'est la meilleure ! Et de toutes les façons, le plein que peuvent assurer les vedettes étrangères est absorbé par le poids des devises qu'elles emportent avec elles, le coût de leurs transport et séjour. Vous gagnez en dinars tunisiens, et vous perdez sur toute la ligne en devises. La belle politique ! A notre avis, il y a un triple problème. Un : les festivals internationaux font rarement appel à nos vedettes nationales, pourquoi donc nous rabaisser jusqu'à inviter tout le temps chez nous lesdites grandes vedettes internationales ? Deux : jusqu'à quand ce mépris pour nos artistes tunisiens? Qu'ils fassent ou non le plein, ce n'est pas ça le plus important, le mérite serait de réconcilier le public tunisien avec le local, avec la création locale. Trois : de quel droit, en cette période de crise politique et économique, se permet-on la fantaisie de dilapider les devises du pays ? C'est juste pour faire plaisir aux habitués de Carthage ? Quelle honte ! Avec beaucoup de plaisir, le Festival de Carthage invitera les gros calibres arabes et mondiaux, mais seulement lorsque la Tunisie se sera débarrassée des ennemis de la liberté, qu'elle aura recouvré sa deuxième indépendance, et qu'elle aura renoué avec l'essor économique. Pas maintenant. Jacques Brel disait : «Il ne faut pas jouer les riches quand on n'a pas le sou !»