Par Néjib OUERGHI Tel un bateau ivre, qui risque de chavirer à tout moment, la Tunisie est en train de s'installer dans une zone de fortes turbulences politiques, sécuritaires, sociales et économiques. Elle risque, à tout moment, de basculer dans la violence politique, le terrorisme et l'anarchie, si les acteurs politiques ne daignent pas assumer leur devoir de sauver l'unité du pays, son modèle de société et, surtout, les espoirs et les ambitions nourris par la révolution du 14 janvier 2011. Face à la montée des périls, des divisions politiques et d'un terrorisme aveugle, qui entend transformer notre pays en une terre de jihad, la Tunisie ne peut plus attendre. Elle semble même à bout de souffle. En l'espace d'une longue et harassante période de transition, le pays a épuisé plusieurs de ses cartes, de ses chances de réussir son processus démocratique et se trouve, subitement, dans l'œil du cyclone. Pour sauver, un tant soit peu, la situation, le pays doit changer totalement de cap. Il ne peut plus recourir à des palliatifs qui, au fil du temps, ont prouvé leur inefficacité pour venir à bout du cancer qui n'a cessé de métastaser sous l'effet de calculs politiques, dont les visées consistent à changer l'ordre social et couper, abusivement, la Tunisie en deux camps antagonistes. Les assassinats, à quelques jours d'intervalle, d'un homme politique, Mohamed Brahmi, et de huit valeureux soldats au mont Chaâmbi (Kasserine) ont été une sorte de tsunami, constituant le plus grand défi lancé à l'Etat tunisien depuis l'indépendance. Sous-estimé ou occulté, le péril terroriste a, pourtant, des accointances obscures, un seul mode opératoire et un objectif précis: plonger le pays dans le chaos et dans un scénario du pire, identique à celui vécu par l'Algérie, une décennie durant. Toute la difficulté réside, actuellement, dans l'engagement d'un combat contre un ennemi invisible qui se réclame d'une nébuleuse qui s'est toujours ressourcée dans la violence et le sang. Un ennemi que le laxisme, qui a longtemps prévalu dans le pays, la désorganisation et le doute qui ont gagné les services de sécurité et l'absence d'une structure chargée du renseignement, ont rendu encore insaisissable, insidieux et sournois. Alors que tous les efforts auraient dû être orientés vers la construction, la réforme et la mise en place des institutions démocratiques, le pays semble, aujourd'hui, plus que jamais en panne et la population en ébullition. En désarroi. Elle est en train de perdre tout espoir, toute visibilité et toute confiance dans sa classe politique et dans ses institutions. Un ras-le-bol général qu'illustre parfaitement une pression accrue de la rue pour changer, de fond en comble, la donne politique, sécuritaire et économique. Le gel du tiers, presque, des députés de leur activité au sein de l'ANC (Assemblée nationale constituante), la quasi-unanimité des forces politiques démocratiques, des organisations nationales et de la société civile à former un gouvernement de salut ou d'union nationale, à redéfinir le rôle imparti à l'ANC et l'appel du cœur lancé par tout un peuple pour juguler le terrorisme, se profilent comme l'alternative susceptible de mettre un terme à une longue période de flottement, d'indécision et de descente du pays aux abysses. Pour relancer le processus de transition sur des bases nouvelles, solides et sûres, il est devenu impératif de changer de méthodes et de moyens d'action, en confiant le pilotage de ce dernier quart d'heure à des personnalités capables d'assumer la lourde tâche de sauver la révolution, la démocratie, le modèle de société et l'unité du pays. Les deux gouvernements successifs issus des élections du 23 octobre 2011 ont montré une incapacité à assurer une bonne gouvernance des affaires du pays, en l'enfonçant chaque jour un peu plus dans le doute, la peur et l'inconnu. Ils ne sont pas parvenus à forger un consensus, ni à restaurer la confiance et, encore moins, à émettre des signaux clairs qui feraient sortir le pays du cercle vicieux. Après le tsunami, consécutif au deuxième assassinat politique et aux actions terroristes barbares de Jebel Chaâmbi, durement ressenti par tous les Tunisiens, tout laisse croire que rien ne sera plus comme avant. Tous les acteurs politiques sont acculés, aujourd'hui, à assumer leurs responsabilités historiques. Un devoir qui leur dicte d'agir autrement et de faire taire leurs luttes partisanes pour sauver la Tunisie, préserver ses intérêts et sauvegarder son unité. La métaphore développée par certains hommes politiques faisant croire qu'on a accompli 80% du parcours et qu'il importe de terminer les 20% qui restent en suivant les mêmes moyens et les mêmes méthodes, paraît insoutenable. En effet, il serait illusoire de rectifier le tir et d'orienter l'action vers la trajectoire voulue en laissant croire que les bonnes questions peuvent se satisfaire de réponses faciles. En cette période d'incertitude, il est temps d'agir, en marquant une nette rupture avec des pratiques qui ont montré leurs limites. Seul un sursaut est à même de sceller l'union des Tunisiens vers des ambitions et des valeurs partagées et de transcender leurs divergences et dissensions. Ne pas prendre la mesure de l'extrême gravité de la situation mènerait le pays non seulement au chaos, mais aussi à la faillite politique, économique et sociale. On joue maintenant le temps additionnel, ce qui requiert de se concentrer sérieusement sur la mission fondamentale, celle qui consiste à servir le pays et entendre le pouls du peuple.