Les failles dont souffre l'appareil sécuritaire du pays retardent fatalement la capture de l'homme le plus recherché de Tunisie Un mandat de recherche international vient, comme on le sait, d'être ordonné à l'encontre de Seïfallah Ben Hassine, alias Abou Iyadh, le number one d'Ansar Echaria en Tunisie, l'objectif étant de resserrer l'étau autour de lui, afin de parvenir à l'arrêter. Pourquoi ce mandat en ce moment précis ? Pourquoi ne l'a-t-on pas lancé plus tôt, s'agissant bien de l'homme le plus recherché du pays, depuis la révolution ? Deux questions auxquelles tant le ministère de l'Intérieur que celui de la Justice, bien que contactés par nos soins, ont refusé de répondre ou, au moins, d'apporter le moindre éclaircissement! Affaire d'Etat ? Dossier top secret ? Intérêts en jeu ? Obligation de réserve de peur de paralyser le déroulement de l'enquête ? Mystères... Connotation occidentale ? Si ces mystères persistent encore «officiellement», il n'en demeure pas moins vrai, avancent des observateurs et des sources policières, que ledit mandat de recherche était rendu inévitable par deux facteurs majeurs, à savoir : — Primo : la pression occidentale imposée sans relâche par la France, et surtout les USA, en vue d'en finir avec le tristement célèbre Abou Iyadh. C'est d'autant plus vrai que les Français voient en ce dernier un prolongement de la spirale terroriste qui leur a coûté cher lors de leur intervention militaire au Mali, alors que les Américains ne sont pas près de pardonner à cet homme son implication avérée dans l'attaque, au mois de septembre dernier, de l'ambassade et de l'école américaines à Tunis. De surcroît, pour des Occidentaux impatients de gagner leur lutte féroce et coûteuse contre les terroristes dans le monde, il n'est, bien entendu, pas question de voir des éléments aussi dangereux comme Abou Iyadh courir encore. — Secundo : outre le front occidental, le gouvernement était également sommé de réagir par le front local (opposition et observateurs confondus) qui lui reproche «un laxime frisant la complaisance» dans la gestion de cette affaire. Au point que des agents de l'ordre, rendant hâtivement l'ascenseur à tous ceux qui les qualifient d'impuissants, continuent de marteler en privé que «ce sont les ordres d'en haut qui nous empêchent d'arrêter Abou Iyadh», et qu'«il suffit d'un oui pour qu'on le neutralise en deux heures» ! Que trame Ali Laârayedh ? Ces révélations, sans doute embarrassantes, ont de quoi gêner, en premier lieu, M. Ali Laârayedh, «pour la simple raison, affirme-t-on çà et là dans les rangs des forces de sécurité intérieure, que c'est lui qui a, au temps de son passage au ministère de l'Intérieur, pris en main le dossier de Abou Iyadh, et que c'est lui aussi en personne qui continue, de nos jours, d'avoir un droit de regard sur ce même dossier». Du coup, surgissent les interrogations suivantes: M. Laârayedh s'est-il enfin résolu à clore ce dossier pour faire les yeux doux à l'Occident ? Espère-t-il, par l'arrestation d'Abou Iyadh, réaliser un retentissant coup de filet policier de nature à redorer le blason d'un gouvernement sommé de démissionner ? Rached Ghannouchi, qui considère les salafistes comme ses fils, était-il derrière le lancement du mandat de recherche contre Abou Iyadh, dans le but exclusif de rendre son aura à un parti en chute libre dans les sondages ? Que de failles ! Ceci sur le plan politique. Volet technique maintenant avec, d'emblée, cette question : l'appareil sécuritaire du pays est-il vraiment en mesure d'arrêter Abou Iyadh ? On est tenté, sans aucun excès de pessimisme, de répondre par non, pour plusieurs raisons : 1- Depuis la révolution, on ne compte plus les revers dans les rangs de nos forces de sécurité intérieure qui tardent à retrouver leur efficacité. 2- Ni Abou Iyadh ni les assassins de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi n'ont pu être arrêtés jusqu'à présent. 3- D'autres activistes dangereux à la solde d'Al Qaïda et répertoriés par les services secrets occidentaux continuent de courir dans nos murs, par cellules dormantes interposées. 4- Les luttes d'intérêts qui font encore rage au sein des départements sécuritaires où le pluralisme syndical aidant, on persiste à croire en l'existence d'une police parallèle. 5- Le déficit énorme en matière de renseignements, comparativement aux «années de gloire» qu'avait connues l'appareil sécuritaire du pays avant la révolution. 6- Les grandes compétences en matière de renseignements sont, hélas, devenues une denrée rare, depuis justement le licenciement abusif, par l'ex-ministre de l'Intérieur Farhat Rajhi, de pas moins de 16 hauts cadres de la police. D'où la nécessité, faut-il le souligner en vue de jours meilleurs, de faire appel de nouveau à la vieille garde qui avait fait les beaux jours de la boîte sous l'ancien régime à une époque où la prévention, l'anticipation, un suivi de tous les moments et une coordination exemplaire avec les services secrets étrangers (occidentaux surtout) constituaient une terrible force de frappe qui faisait mouche en Tunisie et même à l'étranger. Abou Iyadh à la manière de Ben Laden Pour revenir à l'inévitable Abou Iyadh, nul ne sait quand, où et comment il sera mis sous l'éteignoir. Ce que l'on sait, par contre, c'est cette extraordinaire efficacité avec laquelle il peut passer incognito, s'inspirant sans doute des méthodes de protection adoptées par son maître spirituel Oussama Ben Laden qu'il avait côtoyé à la fin des années 90 lors de son apprentissage en Afghanistan Abou Iyadh est habilement capable d'éviter tout guet-apens qu'on lui tend. Et cela en changeant régulièrement de domicile, en se déguisant avec un niqab, en se rasant la barbe. Pour des flics qui en savent quelque chose, «ces incroyables tours de renard lui permettent clandestinement d'aller à la mosquée, d'assister à une fête de mariage des siens, de se présenter à une cérémonie d'obsèques et, quand il le faut, de... faire un saut en Algérie pour se concerter avec ses camarades d'Aqmi (Al Qaïda au Maghreb islamique)». Selon les mêmes révélations sensationnelles, Abou Iyadh compterait sur une garde rapprochée composée d'une cinquantaine de fidèles, sur trois chauffeurs (pour ses déplacements) et sur un nombre indéterminé d'indics et de complices au sein même des forces de sécurité intérieure ! Refusant d'utiliser les téléphones fixes et portables de peur d'être repéré, il se contente de dispatcher ses ordres oralement ou par écrit. Ces détails croustillants permettront-ils de remonter sa cachette ? En attendant, il court, il court, Abou Iyadh...