Comme prévu, les propositions de Ghannouchi ont suscité des réactions diverses. Nouvelle manœuvre ou retour à la voix de la raison ? Il est encore tôt pour se prononcer Les réactions qu'a provoquées la nouvelle feuille de route d'Ennahdha exposée par Rached Ghannouchi, dimanche soir, sur Nessma TV divergent entre ceux qui y voient une nouvelle manœuvre destinée à gagner encore du temps et ceux qui la qualifient «d'un courageux pas en avant mais qui reste toujours à concrétiser». La grogne suscitée au sein d'Ennahdha, dont les auteurs estiment que Ghannouchi a fait trop de concessions, sera-t-elle maîtrisée à temps pour que le dialogue national puisse démarrer enfin ? Les déclarations des responsables du CPR criant à un deal entre Ennahdha et Nida Tounès peuvent-elles bloquer encore le processus du dialogue national qui semble avoir pris son envol ? Pour plusieurs acteurs du paysage politique national, qu'ils soient impliqués directement dans les tractations ou se contentant d'observer de loin l'évolution de la situation, la donne a bien changé puisqu'aujourd'hui, «on est passé de la légitimité électorale à la légitimité consensuelle et peu importe l'appellation que portera le prochain gouvernement, l'essentiel est de sortir ensemble du tunnel dans lequel notre pays s'est engouffré». Il n'y aura pas de vacance institutionnelle Riadh Ben Fadhl, secrétaire général du parti «Al Qotb», estime que «le discours de Ghannouchi a la forme d'un scoop mais nous avions déjà confirmation, via l'Ugtt et d'autres parties, des propositions qu'il allait développer. Pour nous, le principal enjeu réside dans la démission immédiate du gouvernement Laârayedh dont les échecs politique, économique, sécuritaire et moral sont patents. L'argument du vide politique développé par Ghannouchi ne tient pas la route car Hamadi Jebali a bien démissionné avant que nous ne connaissions le nom de son successeur. Pour que les Tunisiens soient éclairés sur ce point, il s'agit bien d'une vacance politique et non d'un vide institutionnel dans la mesure où Laârayedh pourrait continuer à gérer les affaires courantes jusqu'à la formation du prochain gouvernement». Quant aux remous constatés au sein d'Ennahdha, Ben Fadhl est convaincu que Ghannouchi a fait sa propre lecture des nouveaux rapports de force sur les plans national et international. «Il fait tout pour préserver l'avenir de son parti. Ses choix ne vont pas satisfaire l'ensemble des militants d'Ennahdha et provoqueront encore un certain mécontentement ou contestation. Je pense que la direction du parti nahdhaoui saura maîtriser la grogne car il s'agit bien du devenir du parti», conclut-il. «Des manœuvres presque légitimes» Le président de l'Union populaire républicaine (UPR) Lotfi Mraïhi, observant l'évolution de la vie politique un peu de loin puisqu'il ne participe pas aux négociations, développe une analyse critique n'épargnant ni Ghannouchi et ses alliés ni l'opposition. Il reconnaît que «Ghannouchi est en train de manœuvrer pour gagner du temps et son attitude est presque légitime. En face, nous avons des revendications illégitimes et antidémocratiques. Qu'on le veuille ou pas, le gouvernement actuel est l'émanation de la volonté du peuple exprimée librement le 23 octobre 2011. Aujourd'hui, on propose la formation d'un nouveau gouvernement et on oublie de nous dire s'il aura les moyens de redresser l'économie nationale qui se trouve dans le gouffre». Mraïhi trouve qu'il «est malsain de focaliser sur les élections au moment où le pays est menacé d'une faillite déclarée. Encore plus, le gouvernement actuel ou celui qui va le remplacer, qu'il s'appelle gouvernement de compétences, d'union nationale ou de salut national, n'ont rien à voir avec les élections». L'opposition n'échappe pas elle aussi aux critiques acerbes du président de l'UPR. «C'est une opposition qui veut se baser sur un syndicat pour être son point fort. Elle veut faire jouer à l'Ugtt le rôle qu'a assumé l'armée en Egypte. L'agenda de l'Ugtt, c'est les grèves sauvages qui paralyseront l'activité économique et sociale du pays». «Quant aux faucons d'Ennahdha, je pense que plus la pression est accentuée sur Ghannouchi, plus ils seront au-devant de la scène. Au final, ils ne pourront pas changer ou renverser en leur faveur la nouvelle donne», ajoute-t-il. Nous sommes désormais dans la légitimité consensuelle «Oui, on peut dire que Ghannouchi s'est enfin rendu à l'évidence. Ses déclarations constituent un pas très avancé sur le plan politique en comparaison de ses positions antérieures. Reste maintenant la nécessité de matérialiser ces positions. Aujourd'hui, nous sommes passés du discours de la légitimité électorale à celui de la légitimé consensuelle. Nous sommes dans un tunnel et il nous faut en sortir ensemble sans qu'une partie quelconque essaye de tirer la couverture pour son propre compte», admet Lazhar Akremi, porte-parole de Nida Tounès. «A ceux qui parlent d'une nouvelle manœuvre de la part de Ghannouchi, je réplique en leur disant que manœuvrer est une partie intégrante de toute l'action politique. Toutefois, les manœuvres ne doivent pas se transformer en un style permanent», fait-il remarquer. Il précise, d'autre part, que «Nida Tounès attendait que Ghannouchi annonce clairement l'acceptation, par Ennahdha, de la démission du gouvernement Laârayedh qui continuera dans tous les cas la gestion des affaires courantes. L'essentiel pour nous est que le prochain gouvernement s'attaque à la grande tâche de restaurer la confiance des Tunisiens en la possibilité d'organiser des élections libres et conformes aux normes internationales». Le mécontentement au sein du CPR et les remous parmi les nahdhaouis qui ne partagent pas les opinions de Ghannouchi sont prévisibles pour Lazhar Akremi. Il relève : «Il est normal que les Cpéristes se comportent ainsi puisqu'ils considèrent qu'ils sont lésés, alors que les contestations au sein d'Ennahdha finiront par s'estomper, Ghannouchi tenant toujours les rênes du parti».