Enfin et après une série d'épisodes au rythme haletant et un suspens à la Hitchcock, Rached Ghannouchi annonce l'acception de son parti de l'initiative de l'UGTT. Certes, cette décision vient détendre un peu l'atmosphère et calmer, ne serait-ce que quelque temps, les esprits qui se sont échauffés depuis l'amorce de la crise à l'assassinat du député nationaliste et leader du Front Populaire Mohamed Brahmi avec la constitution de deux camps rivaux, l'un appelant à la démission du gouvernement et à la dissolution de l'ANC, l'autre défend ce qu'il appelle la légitimité. La volte-face Cependant, l'alignement de Ennahdha sur la position de la centrale syndicale est loin d'être une position de principe traduisant une conviction profonde de la nécessité de remplacer son gouvernement par un autre qui soit de salut national d'autant plus que pas plus tard qu'avant-hier Ali Laârayedh a déclaré lors de la clôture des travaux du congrès annuel des tunisiens à l'étranger que la dissolution de son gouvernement ne saurait faire l'objet de pourparlers, assimilant cela à un vide qui plongerait le pays dans l'anarchie, et que le même jour Noureddine Bhiri a soutenu que ce dernier resterait chef du gouvernement et pour longtemps. Et quelques jours avant ces déclarations, le président de leur parti, Rached Ghannouchi, proposait à Béji Caïd Essebsi un marché en contrepartie du renoncement de Nida Tounes aux revendications du Front de Salut National, un marché alléchant avec le poste de la présidence et quatre portefeuilles ministériels dont un régalien. Donc, rien dans les attitudes des responsables de Ennahdha ne laissait prévoir un changement de position à 180 degrés, bien au contraire, tous laissait entrevoir une obstination encore plus grande de sa part et un refus catégorique de renoncer à sa fameuse panoplie de lignes rouges dont le gouvernement. L'explication de cette volte-face est à chercher en dehors de l'enceinte du mouvement Ennahdha, elle se trouve du côté des forces politiques et sociales s'inscrivant dans la logique du changement. En effet, sa rétraction est le corollaire du constat amèr qu'elle venait de faire, elle s'est rendue compte à l'évidence que la rigidité qu'elle affichait l'isolait de plus en plus d'autant plus que son partenaire « Ettakatol » se rapprochait un peu plus chaque jour de la position qui fait l'unanimité entre les différentes forces politiques et sociales et qui consiste à faire substituer un gouvernement de salut national à celui de la Troïka. En fait, l'affaiblissement de celle-ci voire son émiettement était déjà amorcé depuis la décision prise par Mustapha Ben Jaâfar de suspendre les activités de l'ANC, et il s'est précisé de manière plus nette avec son appel à un gouvernement non partisan. Eviter l'isolement La présence de Ettakatol dans la coalition gouvernementale est vitale pour Ennahdha, car sans ce parti démocratique, elle ne pourrait plus se prévaloir ni de pouvoir consensuel, et encore moins de démocratie, les ingrédients dont elle se sert pour occulter le caractère théocratique de son gouvernement. Le départ de Ettakatol de la Troïka serait, donc, synonyme de fin pour le parti au pouvoir, c'est pourquoi il lui aurait emboité le pas en acceptant de s'auto-dissoudre afin d'éviter le suicide politique. Ce qui aurait précipité ses pas vers ce consensus général c'était les appels à la sagesse réitérés qui lui étaient adressés par l'ensemble des médiateurs, à savoir le comité de l'ancien bâtonnier Abderrazak Kilani, le juge Mokhtar Yahyaoui et l'ancien diplomate Taoufik Ouannes, l'initiative de la protection du processus démocratique, animée entre autres par Ahmed Rahmouni et Slaheddine Jourchi ainsi que des organisations syndicales et patronales et de la société civile telles que l'Ordre des Experts Comptables de Tunisie, la Fédération tunisienne des agences de voyages (FTAV) et l'Union des travailleurs de Tunisie(UTT). Refuser une telle solution, qui constitue, de l'avis de tous les acteurs civils et politique, l'ultime gilet de sauvetage, dénoterait une attitude égoïste faisant fi de l'intérêt suprême de la patrie et la jetterait à coup sûr dans l'inconnu et le vide, mais cette fois-ci ce serait pour de bon et non pas comme l'a prétendu M Laârayedh. D'ailleurs, on lui rappelle, en l'occurrence, que la démission de celui de Mohamed Ghannouchi n'a pas provoqué cette vacuité tant appréhendée par lui et ses partisans. Manœuvre dilatoire ? En se ralliant à la position majoritaire, Ennahdha rend le dialogue national possible en vue de trouver une issue à la crise qui n'a que trop duré. Toutefois, son acceptation de la démission du gouvernement Laârayedh représente le point de départ des négociations et le prélude de désamorçage de la crise comme l'a précisé avant-hier Samir Taieb suite à la réunion avec le secrétaire général de l'UGTT. Cette déclaration sous-entendrait-elle une éventuelle concession de la part des députés retirés et du Front de Salut National vis-à-vis de la dissolution de la Constituante ? Il est difficile de se prononcer sur la question si tôt au regard de l'ambiguïté des déclarations des dirigeants du parti au pouvoir, qui ne disent pas, expressément, si oui ou non le gouvernement allait être remplacé, et des conditions générales qui accompagnent la décision prise par Ennahdha, car il ne faut pas oublier qu'elle intervient à un moment où la rue se mobilise pour la « semaine du départ » et où les nominations et les limogeages au sein des ministères de l'intérieur et de la défense et dans les établissements médiatiques se multiplient défiant par là l'autre revendication majeure qu'est la révision de toutes les anciennes désignations faites sur la base de la loyauté partisane et non pas sur des critères de compétences. Ne devrait-on pas y voir une riposte, des préparatifs défensifs, inspirés par la leçon égyptienne, et un défi maquillés par l'acquiescement à la volonté générale ? Souscrire à ce projet commun ne serait-il pas une énième manœuvre dilatoire de Ennahdha pour essayer de faire passer l'orage de la semaine à venir et gagner du temps comme l'ont, toujours, soutenu ses opposants ? Le point de départ des négociations annoncé par ses dirigeants reste flou, sans consistance aucune et ne dépasse pas le seuil des mots abstraits.