Haythem Zakaria, 26 ans, lunettes de vue et sac à dos, a tout l'air d'un artiste qui a sérieusement de la rigueur. Travailler dans l'art digital suppose, en effet, beaucoup de rigueur, une parfaite connaissance de l'informatique et des outils numériques. Nous l'avons rencontré, il venait à peine d'honorer son engagement auprès du «Fest», festival de la musique et de la culture électronique, en tant qu'artiste participant et coordinateur technique. Son installation intitulée «Essmaa», présentée dans cette édition du 3 au 6 juin 2010, mêle calligraphie arabe et sonorités. L'artiste y propose un travail sur trois lettres à consonance mystique, «le mîm» le «waw» et le «nûn». L'auditeur est censé se reconstruire une perception unique et personnelle, en assemblant ces petites pièces sonores et visuelles. Qu'est-ce que cet art où les séquences semblent complètement conceptuelles et abstraites ? Haythem ouvre son sac à dos, et, telle une Mary Poppins des temps modernes, il en sort une infinité de gadgets électroniques dont une web cam. Il nous en explique l'utilité et la portée. Se rendant compte du point d'interrogation qui s'affiche dans notre regard, il allume son ordinateur et nous montre l'une de ses installations. Sur l'écran, il y a cette calligraphie arabe qui bouge comme une surface d'eau, et avec elle, notre portrait capté en live par la caméra. L'accompagnement sonore ajoute plus de mystère à cette atmosphère, bizarre… «J'ai dit bizarre ?» En tout cas, avec cette «gueule d'atmosphère» on ne se reconnaît plus…Mais comment est-ce que Haythem fonctionne dans sa tête pour arriver à ces images et sons qui ont l'air d'appartenir à une autre dimension, un autre monde? Travaillant sur les iconographies sacrées, et en lisant des textes de Jallal Eddine Erroumi, par exemple, des images fusent dans la tête du jeune créateur, dont il essaye de retrouver les sensations, à travers un langage de programmation, un logiciel qu'il crée lui-même…Et c'est ce qu'il appelle l'installation immersive qu'il propose au spectateur pour le faire voyager. «Oui, l'artiste digital a cette prétention : englober le spectateur et l'emmener en voyage», nous dit Haythem. D'ailleurs, dans l'art digital, le spectateur s'appelle plutôt participant, parce qu'il interagit... Cet art nouveau, créé il y a environ 7 ans, s'inscrit dans un mouvement, dans une culture dite «culture électronique». Ce serait ce potager florissant où se côtoient les espèces les plus hybrides… L'art digital se développe à pas de géant et se partage déjà… Il intervient dans les autres formes d'art vivant comme le cirque, le théâtre et la danse. Il apporte une forme de scénographie, ouvre au créateur de nombreuses perspectives et bouleverse les codes et les conventions. Haythem Zakaria veut aller jusqu'au bout de cet art, de ses projets… Depuis sa performance dans Dream city — festival d'Art Contemporain, session 2007, pour laquelle il a eu des feed- back très positifs —, il a décidé de se perfectionner et de se donner le temps d'apprendre. Il a quand même réussi à créer une première installation intitulée «Raqs» et à fonder une structure associative qu'il a baptisée «Wassla». Aujourd'hui, il est prêt à initier ceux qui s'intéressent à l'art digital. Il partira au mois de septembre en Hongrie, et au mois d'octobre à Paris pour des workshops. En attendant, il se prépare pour une performance live avec un musicien dans le cadre de City sonics, un festival en Belgique, axé sur les arts numériques en matière de son. Son rêve est celui de tous les artistes : vivre de son art. Mais, pour cela, il faut beaucoup de courage. Zakaria en a. Après avoir fait des études de cinéma à Tunis, il a tout de suite changé de vocation. «Je ne peux pas travailler dans la logique actuelle de la production cinématographique», nous a-il-expliqué. Après un stage de quelques mois en France, il obtient une carte de séjour dans le cadre de ce programme spécial français, destiné aux investisseurs, universitaires , sportifs ou artistes. Titulaire de cette carte «compétence et talent», Haythem peut désormais se permettre de bouger, de programmer et de partager. Car cette notion de «partage» a l'air d'être une valeur très importante pour l'artiste digital. Le mot revient souvent dans la bouche de cet autodidacte. On commence à croire que le monde va changer au mieux avec cette génération de l'ère du numérique… Croisons les doigts pour notre jeune créateur qui n'attend qu'une chose: trouver des partenaires qui l'aideraient à organiser des ateliers de formation en Tunisie. ————— * Pour en savoir plus sur Haythem Zakaria, consulter son site : data is beauty. com