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«Dévastés, mais pas anéantis!»
Enquête - Les tunisiens et la «maladie politique»
Publié dans La Presse de Tunisie le 16 - 09 - 2013

Baptême du feu et du sang, deuil, sentiment d'insécurité, crise de confiance, colère, déprime, détresse... ou comment le jeu politique a viré au désastre citoyen.
« Nous sommes dévastés... Je ne saurais décrire précisément ce mal mais cela vous prend un peu partout ; aux tripes, à l'âme, à l'esprit, à l'existence, à l'appétit de vivre, à l'identité, au pays... Ça doit être cela le mal de la patrie quand cette patrie entre en guerre, subit une invasion étrangère ou une catastrophe naturelle... ». Farouk est médecin et se console « au moins » de la complicité de son épouse Karima qui partage son diagnostic et le relaie aussitôt : « Ce qui est curieux c'est que cela touche à tout et vous touche partout. Vous ne pouvez plus faire un pas, esquisser un geste, travailler sans le ressentir comme une blessure, un traumatisme tout nouveau, une frustration. Preuve à quel point la patrie est partie vivante en nous... »
Patriotes anonymes et frustration des coulisses
A l'image de milliers de patriotes anonymes, ce couple de médecins internistes raconte les effets dévastateurs de la scène politique sur leur quotidien et le plus profond de leur être.
Mais comment l'actualité politique en arrive-t-elle à investir autant les consciences, à infliger autant de douleur et autant de colère aux citoyens? Comment des pans entiers de la société tunisienne se sont-ils trouvés, au fil de ces mois de transition, pris dans la tourmente politique jusqu'au bout de l'addiction, de l'insomnie et jusqu'à l'obsession ?
Chérif Ferjani est politologue. Il explique le nouveau mal des Tunisiens par la concentration de tous les aspects de la vie politique, économique, sociale et culturelle autour d'un enjeu central, unique et exclusif : le Pouvoir. « Contrairement à ce qu'elle offre en apparence, la scène politique tunisienne échappe aux Tunisiens. Ils en sont dépossédés. Elle offre le spectacle d'une arène éloignée des préoccupations réelles quotidiennes des citoyens : problèmes de l'emploi, de la santé, de l'éducation, de l'augmentation du coût de la vie, de la dégradation du pouvoir d'achat et des conditions de la vie de tous les jours... ». Le politologue diagnostique une toute autre frustration, non moins grave : « Même les questions politiques et constitutionnelles pour lesquelles l'actuelle classe au pouvoir a été mandatée; comme l'élaboration de la Constitution, les échéances électorales, les relations entre l'opposition et le pouvoir pour la solution desquelles la mobilisation des citoyens est sollicitée par les uns et par les autres, les Tunisiens ont la certitude que ce qui leur est présenté n'est que la partie infime de la réalité cachée. Ils voient que les décisions qui les concernent sont prises dans les coulisses sinon des capitales et des chancelleries étrangères, du moins dans des négociations secrètes dont ils sont exclus... »
Addiction à l'actualité
Pour nos témoins, c'est cette opacité et ce culte du secret qui induisent une grave crise de confiance entre gouvernants et gouvernés. « D'autant plus que d'une année l'autre, d'un mois et d'une semaine l'autre, ces gouvernants s'enlisent et on ne voit rien venir des labyrinthes de leurs tractations... Rien d'autre que des échecs cumulés... Si seulement ils avaient réussi sur un seul plan, cela nous aurait, quelque part, soulagés ! ». D'où cette « tension exacerbée » et cet « état de veille » dont beaucoup rendent compte.
« Je ne prends plus goût à rien ; ni aux vacances, ni aux spectacles, ni aux joies simples de la famille, ni même aux séries télévisées que j'affectionnais... C'est à peine si je vaque à mes obligations quotidiennes, la tête ailleurs, radio et télé toujours en bruit de fond, à l'affût du moindre événement... », dit Fatma, mère au foyer. La voix exténuée, elle nous décrit son « désir douloureux » de ne rien rater des actualités politiques en dépit de leurs « lots quotidiens de drames, d'intrigues et de dérèglements », en dépit de la « souffrance physique et morale » qu'elles lui procurent. Cette addiction à l'actualité, Kamel, le jeune frère de Fatma, lui donne un nom. « Un état d'alerte maximum que je vis avec certains de mes collègues de bureau. C'est pénible, mais il faut rester très vigilant. A défaut de participer aux décisions, il faut lire entre les lignes et recouper les informations. Il y a de petits détails d'apparence insignifiants qui révèlent leurs contradictions, leurs mensonges et leurs véritables projets... Il y a des assassinats à élucider et nous n'avons pas le droit de laisser la vérité nous échapper... Suivre nous donne l'illusion de contrôler ! »
Tourment existentiel et délire de supporters...
Pour ce couple d'enseignants, le plus éreintant est le facteur temps. Comme tant d'autres, il voit défiler les saisons à la vitesse des jours et, au retour de l'automne, il scrute l'horizon : « la grisaille de la météo n'a d'égale que la morosité politique et économique... Un deuxième été passé sans que la crise ne soit sérieusement résolue, sans que le pays ne soit réellement mis sur la voie... Tout ce temps perdu c'est du gâchis. Toutes ces déclarations, ces manipulations, ces manœuvres nulles et non avenues, nous les vivons comme une guerre d'usure... ». L'épouse relève spécialement cette souffrance à devoir composer avec une nouvelle mentalité de dirigeants faite d'arguments de « persécution » et de « victimisation ». « On ne peut se sentir sérieusement gouvernés par des responsables qui se plaignent tout le temps d'être la victime des desseins obscurs de l'opposition, des médias, des azlam*, des parties étrangères... Des gouvernants, ce doit être des personnalités fortes et imperturbables ! »
Pour les déprimés ordinaires, le baptême du sang, du feu, des armes, le deuil, les enterrements, le choc des images et la découverte de la barbarie, grandeur nature, pèsent tout autant que cette peur diffuse du lendemain avec ses menaces de guerre civile, de banqueroute, de salaires bloqués, de pénurie des denrées...
Mais, au-delà de ses frustrations, ses traumatismes et ses addictions ordinaires, la maladie politique n'a pas les mêmes syndromes pour tous. Il y a ceux qui vivent le cataclysme politique comme un tourment existentiel et ceux qui s'y lancent allègrement avec un fanatisme de supporters. Les premiers se morfondent vaguement pour un pays, une existence, une identité et un avenir pour les enfants. Les seconds, pour avoir sitôt choisi leur camp, peinent à le soutenir jusqu'au bout du match et ses prolongations.
S. et B. en font partie. Ils forment un couple bien soudé dans l'euphorie de la victoire du 23 octobre, les joies inédites de la gouvernance et le lit douillet de la légitimité. Leurs deux enfants, une fille de 16 ans et un garçon de 14, suivent naturellement la voie : un soutien inconditionnel au parti au pouvoir. Chez cette famille dont l'horloge semble réglée sur les flashs d'Al Jazeera TV, on boycotte radios et télés tunisiennes dites « de la désinformation » et on zappe dans un spectre restreint de quelques chaînes amies dites « d'information alternative ».
« La malédiction du Bardo et la prière de Rabâa... »
Ici, on ne rend aucun hommage aux « martyrs » de la révolution, encore moins à ceux de la transition auxquels on refuse le statut de martyrs (réservés aux seuls jihadistes). Ici, on ne s'émeut de rien, on ne se plaint de rien ; aucune morosité économique, aucune tristesse patriotique ou existentielle, considérant tout comme une dramatisation gauchisante malintentionnée.
Ici, « deuil », « misère » et « colère » résonnent comme des mots étrangers. « C'est le langage de la gauche qui veut tout détruire et créer le vide pour s'accaparer le pouvoir. « Terrorisme », « armes » et « sang versé » : « un film monté de toutes pièces par la gauche et les services secrets étrangers pour faire des salafistes un bouc émissaire et confisquer le pouvoir... »
Mais le contentement et la sérénité affichés de la famille M. cachent mal une toute autre déprime. Ici, on a choisi son deuil et désigné ses martyrs : «Les dizaines de milliers d'innocents abattus par l'armée égyptienne sur la place de Rabâa. Nous faisons leur deuil, nous observons le jeûne et prions pour leurs âmes et pour le retour du président Morsi qui reprendra imminemment le pouvoir... ». Ici, on affiche les posters et les autocollants à l'icône de Rabâa jusque dans la cuisine et sur les bureaux des enfants... Ici, le « trop de rouge du drapeau tunisien dans le ciel de Tunis est une dépense injustifiée, un excès provocateur de laïcs, une offense à d'autres bannières qui ont tout autant raison d'être ... ». Ici, le terrorisme n'est pas une aussi grave offense. Ici, « la véritable malédiction c'est le sit-in du Bardo... Et c'est ce qui nous rend malades! »
Avec ses syndromes multiples, la maladie politique des Tunisiens relève-t-elle de la dépression provisoire, du traumatisme incurable ou du douloureux rite de passage... à la démocratie ? En attendant une sortie de crise et un diagnostic sérieux, le Dr Farouk esquisse une réponse : « Ce mal nous donne aussi de l'énergie... Nous sommes certes dévastés, mais nous ne sommes pas anéantis... »
* Azlam : proches de l'ancien régime.


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