Dans les années 60 du XXe siècle, un grand hebdomadaire paraissant en France titrait à propos de la Syrie «Le coup d'Etat du mois». Tellement les coups d'Etat y étaient fréquents. Depuis l'avènement de Hafez Al-Assad, lui aussi à la faveur d'un coup d'Etat en 1970, le régime baâthiste est passé maître dans les techniques des contre-coups d'Etat. La dernière crise relative au chimique syrien témoigne de l'extrême agressivité diplomatique du régime. Pourtant, il fait face à une redoutable rébellion armée. Et cette dernière est financée notamment par les pays du Golfe, l'Europe de l'Ouest, les Américains et soutenue par Israël et la Turquie. Tout au long de cette crise, Damas est passé maître dans les tirs de flèches des Parthes. Grands ennemis des Romains, les cavaliers parthes avaient coutume de simuler la fuite devant leurs adversaires avant de les cribler de flèches tirées par-dessus leur épaule. Et la tactique s'avérait le plus souvent meurtrière. On sait désormais que le monde a frôlé le pire le 31 août dernier. Les avions bombardiers français Rafale étaient prêts à décoller. L'état-major avait déjà choisi les cibles, les communiqués étaient rédigés et la communication consécutive fin prête. Pourtant, au tout dernier moment, le président français François Hollande a dû annuler l'opération, suite à un coup de fil du président américain Barak Obama. Vincent Jauvert du Nouvelobs raconte : «J'ai décidé d'y aller, dit le chef de la Maison-Blanche à son homologue français ce samedi à 18h15, mais je vais d'abord demander l'aval du Congrès.» François Hollande est abasourdi. Il essaie de convaincre le président américain de revenir sur sa décision, en vain. Le chef de l'Etat rejoint alors les hommes qu'il a convoqués dans le salon vert pour un conseil restreint. Il ordonne aux militaires de rappeler les Rafale et évoque les prochaines fenêtres de tirs. De l'avis général, il n'en reste plus qu'une : aux alentours du 15 septembre, entre le vote des parlementaires américains et l'ouverture de l'Assemblée générale des Nations unies. «Après, ce sera très difficile, voire impossible», convient-on. Cette ultime fenêtre sera refermée la semaine suivante par une manœuvre diplomatique astucieuse de Vladimir Poutine». En fait, Poutine est entré en scène. Depuis longtemps déjà. Et pas seulement Poutine. Nous l'écrivions sur ces mêmes colonnes de retour d'un reportage en Syrie : «En Syrie, les considérations géopolitiques sont aux rendez-vous. D'un côté, la rébellion armée composée essentiellement de l'Armée syrienne libre (ASL) et du Front Ennosra, inféodé à Al-Qaïda, appuyés par une coalition internationale. Celle-ci regroupe les Américains, les Européens de l'Ouest, la Turquie, l'Arabie Saoudite, le Qatar, l'Egypte et Israël. Tous s'accordent politiquement et s'allient militairement pour le renversement du régime syrien. De l'autre côté, la Syrie a réussi à mobiliser un front large réunissant l'Irak, l'Iran, le Hezbollah libanais, la Russie et la Chine. Paradoxalement, ce second front est plus compact que le premier. Et il ne laissera pas le premier agir en toute liberté ou en toute impunité en Syrie» (Une guerre mondiale en Syrie in La Presse du 17 juin 2013). En fait, la Russie est bien décidée à sauver le dernier régime laïc dans la région. Ses attaches militaires y sont conçues à perpétuelle demeure. Et elle s'y agrippe mordicus. Selon Olivier Ravanello, «les Occidentaux, Américains et Français, ont lâché plus que les Russes. Dans cette résolution (2118 du Conseil de sécurité), les Russes acceptent l'idée que si Bachar Al-Assad ne joue pas le jeu du désarmement, il sera puni. Ils s'y engagent. Dont acte. En échange, les Occidentaux acceptent que ces sanctions ne soient pas automatiques. Pour punir Bachar Al-Assad, il faudra à nouveau réunir le Conseil de sécurité, qui décidera du montant de l'amende à payer. Frappes militaires ? Pas seulement. Embargo, gel des avoirs financiers, sanctions économiques, tout est envisageable et fera l'objet d'une nouvelle tractation. On est loin de la punition à coup de missiles de croisière» («Et à l'arrivée, c'est la Russie qui gagne»). Les pays arabes du Golfe qui ont mobilisé quelque 130 milliards de dollars en dépenses d'armement à la faveur du conflit syrien sont pris dans la souricière. La résolution 2118 du Conseil de sécurité de l'ONU du 27 septembre 2013 leur interdit de surcroît de continuer à financer la rébellion syrienne. Et ils ne sont pas au bout de leurs peines.