Par Abdelhamid Gmati La polémique déclenchée par la conférence de presse donnée, mercredi dernier par Taieb Laâguili, membre de l'Initiative pour la recherche de la vérité sur l'assassinat de Chokri Belaïd (Irva), n'en finit pas de finir. Il est vrai que les faits relatés et les documents présentés, dénonçant le laxisme et les manquements de certains services du ministère de l'Intérieur dans les assassinats des martyrs Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi et les relations des responsables du mouvement Ennahdha avec l'organisation terroriste Ansar Echaria et certains terroristes libyens, sont graves. Les réactions, nombreuses, n'ont pas porté sur les faits révélés mais ont été dirigées contre la personne du conférencier, traité de tous les noms. Comme d'habitude, on botte en touche et on s'en prend au messager, négligeant le message. La première réaction est venue du ministère de l'Intérieur qui a mis en cause les dates inscrites sur les documents. Implicitement, le communiqué reconnaissait l'authenticité des documents en annonçant la suspension de deux cadres et de deux agents soupçonnés d'avoir «fuité» les documents et les informations. Deux jours plus tard, de nouvelles nominations touchant certaines directions du ministère sont annoncées, d'anciens directeurs étant limogés, certains ayant été mentionnés dans les documents. Le seul fait positif est l'enquête ouverte par le ministère public près le Tribunal de première instance de Tunis concernant les révélations faites lors de la conférence de presse. Le reste des réactions, spécialement celles des membres du mouvement Ennahdha, n'ont été qu'une suite d'insultes, d'accusations, de menaces à l'encontre de Laâguili. On parle même de le traîner en justice. Pourtant, le conférencier n'a pas accusé Ennahdha d'être le commanditaire des assassinats, il a souligné certains manquements de hauts responsables du ministère de l'Intérieur sous Ali Laârayedh et les relations de certains responsables nahdhaouis avec des terroristes notoires soupçonnés d'avoir pris part à ces assassinats. Laâguili s'est même adressé au ministre de l'Intérieur : «Dites au peuple tunisien la vérité à propos de la relation de Abdelhakim Belhadj avec Ansar Echaria. Tout le monde sait que les ministères de la Justice et de l'Intérieur sont dirigés par Bhiri et Laârayedh. Moi, j'ai dit que la boucle est bouclée, maintenant je dis qu'elle ne sera bouclée que si vous nous dites la vérité». A ce propos, les déclarations de Samir Dilou, ministre (s'il en fut) des Droits de l'Homme et de la Justice transitionnelle, sont à retenir; non pas ses insultes mais son appel tonitruant à l'ANC d'ouvrir les archives dans un cadre qui serait « celui d'une instance indépendante et crédible issue de l'Assemblée, entérinée par les élus, c'est l'Instance de la vérité et de la dignité. Les choses ne portent pas sur des mois et des années, vous pouvez faire en sorte que cela intervienne la semaine prochaine, et toutes les archives seront ouvertes. Le cas échéant, nous n'allons plus entendre parler d'un document ou d'une archive fuités ça et là, d'une liste noire et d'une liste blanche, mais de vérités qui seront lues par le peuple tunisien». Un jour plus tard, son ministère précisait dans un communiqué « que l'ouverture des archives de la police politique relève des missions de l'instance Vérité et dignité ». Une instance qui serait choisie par la majorité à l'ANC, c'est-à-dire par les nahdhaouis et leurs acolytes. Pour l'indépendance et la crédibilité, il faudra repasser. Mais pourquoi ne pas prendre ce ministre au mot ? Etait-il sincère en demandant l'ouverture des archives ? Le 1er octobre dernier, le ministre se prononçait clairement contre l'ouverture de ce dossier brûlant, arguant du fait que cela risquerait de «compliquer davantage la situation en Tunisie». Il y a un an, Ali Laârayedh, alors ministre de l'Intérieur, se prononçait contre ce dossier pour les mêmes raisons. De fait, il n'est guère facile de fouiller dans les archives. Cela requiert une neutralité et une transparence administratives qui ne sont pas évidentes. Et puis on ne sait taire des faits pour n'en révéler que quelques-uns. Or, durant la dictature, l'immense majorité des Tunisiens étaient là, et se taisaient. Certains cherchaient à en profiter, d'autres subissaient les pressions, d'autres étaient persécutés, jetés en prison, torturés. Même ceux qui se la coulaient douce en Europe ont quelques casseroles à cacher. Certains d'entre eux sont au pouvoir actuellement. Mais puisque Samir Dilou a brandi ce dossier comme une menace, faisons-lui plaisir. Un grand déballage ? Chiche, faites-le. Nous voulons la vérité et que chacun prenne ses responsabilités. Il existe un arrêté présidentiel en date du 31 mai 2011 qui stipule l'obligation de faire accéder à l'information toute personne physique ou morale.