Les périodes de transition n'ont pas de standard préétabli, assurément. La nôtre fait cependant du surplace. Les causes fondamentales ayant présidé à la révolution du 17 décembre 2010-14 janvier 2011 demeurent en suspens. Deux années et neuf mois plus tard, on en est toujours à la case départ. Pourtant, on a connu, depuis, quatre gouvernements successifs, dont deux de la Troïka. La révolution, il est vrai, est ambivalente. Ce n'est pas une aventure ambiguë. Mais elle est fondée sur une double exigence, économique et sociale d'une part, politique de l'autre. La réussite de l'une est forcément interdépendante de l'autre. Et en guise de bilan, l'on est obligé de se rendre à l'évidence. Nous dressons le constat d'un double échec. L'économique, le social et le politique sont en panne. Il n'est guère de réalisation économique d'envergure. Les finances souffrent. L'endettement atteint des seuils intolérables. Les investissements reculent. Le chômage est toujours en hausse, la Tunisie profonde n'en finit pas de pâtir des affres du déséquilibre régional et de l'exclusion sociale. Les indices de la corruption s'amplifient, la mal-gouvernance est toujours de mise. Les prix des denrées de base augmentent vertigineusement. Le pouvoir d'achat s'érode et la classe moyenne s'effrite à vue d'œil. Politiquement, l'on n'est guère mieux logé. Les Tunisiens sont de plus en plus désunis, divisés, séparés par des gouffres. Les frilosités identitaires, religieuses et idéologiques l'emportent sur les choix communs du projet de société. L'avenir est brumeux, l'insécurité et le terrorisme sévissent. Le pays est à la croisée des chemins improbables. De tous les défis initiaux, il ne reste que la perspective béante et effrayante de l'austérité. C'est le maître-mot de la classe politique aux commandes du vaisseau à la dérive. Ou ce qu'il en reste. Les avant-goûts de la nouvelle loi de finances en gestation ne sont guère encourageants. S'ils s'avèrent opérationnels, c'en sera fini de larges franges de la classe moyenne. Les laissés-pour-compte, eux, y seront condamnés comme à perpétuelle demeure. A l'heure des bilans, le constat est amer. Cependant, le Dialogue national reprend. Et autorise quelque optimisme modéré. Jusqu'ici, la cause première de l'échec patent réside dans la division et l'émiettement confus de la classe politique au pouvoir. Tant celle aux commandes de l'Etat qu'une bonne partie de ceux qui, d'une manière ou d'une autre, tiennent le haut du pavé, l'opposition comprise. Il en est résulté une sclérose généralisée des institutions sur fond de panne avérée des dynamiques de groupe porteuses. L'exemple de l'Assemblée constituante, pluraliste, plurielle et multicolore en est témoin. A un certain moment, elle est devenue irrémédiablement tranchée entre les partisans du pouvoir et ceux de l'opposition. Les différends virèrent à l'antagonisme déclaré et dûment assumé de part et d'autre. A l'occasion essentiellement des assassinats terroristes des martyrs Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi. La transition démocratique diffère d'un pays à l'autre. Mais la spécificité des pays dudit Printemps arabe réside dans le brutal renversement des valeurs. Les emblèmes initiaux et fondateurs de liberté, de démocratie et de dignité semblent battus en brèche par les exaltations fanatiques de tout poil et les bandières douteuses de l'extrémisme et de l'incitation à la haine. Les urgences économiques et sociales sont dès lors reléguées à l'arrière-plan, sinon tout bonnement renvoyées aux calendes grecques. Et en désespoir de cause, on nous offre l'austérité tous azimuts en guise de plat de résistance !