Par Hamma HANACHI Les galeries d'art ouvrent la saison avec enthousiasme. Samedi, B'Chira Art Center entame son programme par une exposition doublée d'un concert de musique. Du panache. Le centre, on ne le répétera jamais assez, est un endroit charmant, vaste parc en périphérie, œuvres modernes, visiteurs avertis et volonté de coller à l'époque, c'est du côté de Sabbalet Ben Ammar. L'exposant a de l'esprit, il a du cœur et le patriotisme chevillé au corps, chanteur, artiste peintre, parolier, Yasser Jeradi, expose une série d'œuvres inspirées de la lecture du philosophe Ibn Arabi ( Murcie, Espagne en 1.165 Damas en 1.240). La dernière fois qu'on a vu Jeradi, c'était au Bardo, au mois d'août, glorieuses soirées et les riches heures de la contestation, perché sur le podium, guitare et harmonica, il chantait l'amour sous toutes ses fortunes et infortunes, sans frontières, dans les langues espagnole, arabe, française ou anglaise. Poète et généreux, amoureux de la vie et des textes qui la chantent, Brel, Brassens, Carlos Gardel ou Hédi Jouini, des rimes, des histoires, des arrêts, des virgules et de l'enthousiasme à n'en plus finir. Et voilà qu'on découvre qu'aux côtés des mots de tous les jours, le parolier a des lectures savantes, une philosophie qui guide ses pas et un esprit qui dirige ses œuvres peintes. Une vingtaine de tableaux de différents formats, sur du métal, de la tôle, technique mixte, intitulé : Ibn Arabi de un à dix neuf et une installation au dernier étage du centre. L'exposition est placée sous un thème, peu banal par les temps qui courent, «Ma religion, ma foi, c'est l'Amour». Des textes, des mots courts, des citations longues du Cheikh Al Akbar, le plus grand maître (titre attribué à Ibn Arabi). Sur de la tôle grise et lisse, la calligraphie en couleur sépia ou rouille est déclinée sous ses styles classiques, Koufi, Naskhi, thuluth, etc, sur quelques pièces, l'artiste pose une tache de couleur indigo, vermillon, bleue et vert, métissage de la lettre, de la phrase et du langage de la peinture, l'artiste joue avec les hasards de la technique, traces irrégulières, du brillant qui renvoie la lumière, des lettres qui s'enchevêtrent, débordent et invitent le regard à la lecture. L'installation montre des couches de rideaux à la verticale en plastique transparent, couvert d'écritures à la fine plume, des centaines de textes de métaphysique soufie, des citations de l'ouvrage «L'Interprète des désirs ardents», de «La production des cercles» les noms divins cités par le maître, poète et philosophe métaphysicien Ibn Arabi. Une exposition, plutôt un traité illustré de l'amour. La pluie et les orages n'ont pas découragé l'artiste qui, accompagné de deux guitaristes, a chanté encore l'amour sous les applaudissements du public. Mourad Salem, artiste contemporain, autodidacte, il vit à Paris, expose à Londres, Dublin, Abou Dhabi, il nous donne de ses nouvelles, de succès en succès, il bâtit dans la patience et la passion une carrière sûre. Pas connu à Tunis, il y a quelques années, il est venu dans l'espoir d'exposer ses travaux, des contacts, des projets non aboutis et une courte amertume. Peu de temps après, il participe à une exposition à l'Institut du monde arabe (IMA) , à Londres, une galerie, la plus prestigieuse spécialisée en art oriental le prend en charge : Rose Issa, la première galerie à avoir exposé des artistes, iraniens moyen -orientaux et maghrébins à Londres, elle est tenue depuis 30 ans par une iranienne. Ce mois-ci, elle expose Sultans are not Sultans, huit œuvres dont quatre grands formats de Mourad au Leighton House Museum, un événement de taille, tout est vendu en plus des éloges et des projets. Sans risque, on peut dire que la peinture de Mourad se veut inclassable, s'il y a référence c'est en tant que rappel, pas plus. Il peint des Sultans, à partir de portraits vus, découverts dans les musées en Turquie, des portraits donc, avec les costumes, les médailles, le fez mais le vide à la place du visage, le fond est tapissé de bombes en vol. La vie, la mort, la joie, l'horreur, n'ont pas de visage, ils nous tombent dessus. A première vue, on détecte aisément les influences des cartoons, Donald ou Mickey, symboles de l'Amérique conquérante qui garde un œil sur le monde musulman. Money, money Hyperréaliste ? Une sorte d'hyperréalisme historique de la vie et non pas pictural, précise-t-il. Ses œuvres offrent une double lecture, historique et ironique. «L'ironie est la base de ma peinture», l'histoire est présente aussi, on glisse à partir de ses replis rapidement vers la politique, les bombes larguées au fond des tableaux, le Sultan impassible, de face. C'est à la fois fascinant et lamentable sinon «comment expliquer que la femme d'un chef d'Etat arabe fasse ses courses dans les grands magasins à Londres ou Paris, alors que le peuple vit ou meurt sous les bombes, de jour comme de nuit, c'est l'une des lectures de mes œuvres». Sultans are not Sultans ou le pouvoir des Sultans qui, malgré leur raffinement, sont souvent des tyrans, un clin d'œil aux tyrans actuels.