L'œuvre peinte de Asma M'naouar est, en soi, une invitation au voyage, une véritable «ballade» au cœur même de cette méditerranée qui n'a pas fini d'enchanter les artistes, les poètes, les musiciens, les philosophes de ces temps-ci et d'autrefois. Asma M'naouar, digne héritière de l'art abstrait en Tunisie (Hédi Turki, Ridha Bettaïeb, Néjib Belkhodja…), a su, avec la patience d'une Pénélope, tisser les trames d'un univers de signes et de symboles qui confèrent à son œuvre picturale tant de noblesse et de majesté. Cette artiste nous revient de loin depuis ses toutes premières abstractions lyriques, à une époque, pas lointaine d'ailleurs, où une certaine orthodoxie commandait plutôt un retour à la figuration pour leurrer encore plus notre regard au sujet de la plate réalité environnante qui ne nous interpelle même plus. Signes et symboles comme sortis d'une forêt de songes accordant, harmonisant tout à la fois ces sons, parfums et couleurs si chers à l'auteur des Fleurs du mal. Asma M'naouar est aussi la digne héritière des artistes méditerranéens de l'autre rive, ceux du courant «Nouveau réalisme» tel qu'initié par des théoriciens comme Pierre Restany ou Michel Butor et des artistes comme Yves Klein, Mimmo Rotella, Tinguely, Arman, César, Ben…qui avaient tordu le cou à tant d'évidences en art, à tant de surenchères à la notion du Beau figé et sans âme. Les toiles de cette artiste exposées aujourd'hui à la galerie El Marsa en disent long sur son parcours initiatique. Des toiles énigmatiques — n'est-ce pas cela la force de l'art ! — qui attendent d'être déchiffrées exactement comme le fit Champollion à l'égard des hiéroglyphes, au pays du Nil. La prédominance de deux couleurs d'abord : le bleu, mais le bleu outremer, celui des profondeurs marines avec le frétillement incessant des poissons, thème récurrent dans l'œuvre de l'artiste, aujourd'hui. Et puis, surtout, le rouge ou, plutôt, cette couleur pourpre qui rappelle les dieux antiques de cette «Mare Nostrum», autre thème récurrent, à travers cette nouvelle mostra, tellement inspirée par l'art italianisant dont Asma M'naouar a hérité comme seconde patrie. Des profondeurs marines Les toiles de petits, moyens ou très grands formats sont des sortes de miroirs tremblants où fourmillent des images qui ressurgissent après le passage incessant des couleurs, des triturations. La peau des toiles est lumineuse, comme celle d'une femme qui attend son amant. Notre regard est à la fois dans la surface des choses et dans leurs profondeurs. Les profondeurs marines et cette marée au cœur de la Méditerranée, qui se marre et dont on croit entendre les échos lointains. Asma M'naouar navigue maintenant entre un art formel et informel. Mais l'art formel, les poissons, les signes calligraphiques, les architectures sont distillés à petite dose pour ne pas casser les rythmes essentiels de ses abstractions lyriques chères à son cœur. C'est une peinture qui musique lentement. Une musique en sourdine, enveloppante. C'est une peinture pleine de tendresse, d'amour et de poésie. Une peinture du doublement des choses, des retournements, des ombres et des lumières. Des peintures comme des caresses incessantes. Des éruptions de fantaisie à peine perceptibles. C'est aussi cela, la force de l'art.