Le feuilleton macabre des convocations et des procès intentés contre les journalistes et la presse écrite et audiovisuelle continue de plus belle. Le nouvel épisode de la série d'affaires qui cible, à l'évidence, la liberté d'expression et de l'information concerne notre collègue Lotfi Larbi Snoussi, rédacteur en chef de notre consœur en langue arabe «Essahafa Al Yaoum». Notre confrère a reçu, jeudi dernier, une convocation pour le lundi 11 novembre, à 9h30, au bureau 78 afin d'être auditionné par le substitut du procureur de la République. Toutefois, la convocation ne précise pas s'il sera entendu en tant qu'accusé ou témoin. Pis encore, la partie plaignante n'a pas été mentionnée et demeure, donc, inconnue. Bref, cette convocation, quelque peu mystérieuse, a été adressée à notre collègue en tant que «directeur de la rédaction d'"Essahafa Al Yaoum" et auteur de l'article publié le 26 juillet 2013 à la page 2 du journal». L'article «incriminé» intitulé «Et le crime se répète» (wa tatakararou al jarima) est en fait un éditorial paru, il y a trois mois, le lendemain de l'assassinat de Mohamed Brahmi. Interrogé, l'auteur de l'article ne comprend pas les raisons de cette convocation : «Tout ce que je sais, c'est qu'il s'agit d'une analyse à partir de faits réels où sont posées des interrogations à partir de plusieurs hypothèses. Mais ce que je sais le plus, c'est que notre journal est ouvert à toutes les sensibilités politiques et qu'il se distingue, depuis le 14 janvier, par un ton libre et indépendant. J'ai consulté mon avocat, Me Azer Zinelabidine, qui a lu l'article à plusieurs reprises et il m'a attesté qu'il ne comporte aucun délit de presse ni diffamation, ni fausses nouvelles portant atteinte à l'ordre public». Ni diffamation ni autres délits de presse Contacté par nos soins, l'avocat de la défense confirme : «En toute objectivité, le journaliste a étayé son analyse sur les assassinats politiques par une série de faits relatés par tous les médias et connus de tous. Vraiment, il n'a aucun caractère diffamatoire, il ne colporte pas de fausses nouvelles portant atteinte à l'ordre public, ni appel à la haine, ni autres délits de presse. L'édito formule des hypothèses et pose plutôt des interrogations. De toute façon, s'il y avait eu ce genre de délits, c'est le décret-loi 115 qu'on devait appliquer, lequel régit désormais les délits de presse. Mais comme la partie plaignante n'est pas identifiée, le substitut du procureur de la République auditionnera Lotfi Larbi Snoussi, pour avoir de plus amples renseignements sur le contenu, les intentions et les objectifs de l'article. A la lumière de l'audition, il décidera de déférer le journaliste en tant qu'accusé ou de renvoyer le dossier à la partie plaignante afin qu'elle porte plainte». Ainsi le harcèlement de la presse et des journalistes n'est pas près de s'arrêter, bien au contraire. Rappelons que ces derniers mois, les procès contre les journalistes et les artistes, autrement dit la liberté d'expression, se sont multipliés. A preuve, les procès intentés à Zied El Héni, Zouhair El Jiss, Mourad Meherzi, Noureddine Shili et à 35 blogueurs et autres rappeurs. La chape de plomb des années Ben Ali perdure on dirait, car il est clair qu'il faudrait une réelle volonté politique pour instituer et instaurer la liberté de presse et d'expression afin que les médias puissent travailler loin de toute exaction, répression et en toute indépendance. Car si on veut construire, enfin, une démocratie, il est impératif d'instaurer la liberté d'expression, le fondement même de toute démocratie.