Tout compte fait et refait, on se dit que dans la vénérable cathédrale, le public a, une fois de plus, vécu une sorte de réconciliation œcuménique entre des musiques sans frontières et une ascèse radieuse. Retour sur scène Fidèle au rendez-vous et à sa réputation, l'Octobre musical reste le navire amiral de la programmation de l'Acropolium, un moment fort, vécu avec chaleur autant par les artistes invités que par les spectateurs. L'Octobre musical a dépassé l'âge de l'adolescence, vingt ans cette année, 17 concerts, un programme qui nomadise entre musique médiévale, classique, romantique et moderne. Comme pour chasser le mauvais sort de ce mois d'octobre qui s'annonçait politiquement et socialement chaud, les Japonais sont arrivés en nombre pour une préouverture intitulée «Espoir pour tous». Plus de 50 artistes, entre musiciens, chanteurs et danseurs en costume traditionnel. Rites du sabre, concentration, souffles lents, scènes d'ensembles, révérences, vieux et jeunes en dialogue artistique. En invité d'honneur, le luthiste Riadh Fehri donne de la réplique : joute virtuose avec le nôkan, le ryûteki (flûtes), gong et autres shamisen (violon). Il y a de la joie, de l'action. La paix partagée! Gérard Caussé nous fait entrer dans le vif du sujet, violoniste mondialement connu, il se produit pour la 3e fois ici avec le même enthousiasme, des années plus tôt ; le public l'a applaudi avec Roberte Mamou, l'a admiré ensuite avec Michel Dalberto (pianiste), récital mémorable, moments palpitants. Cette année, il a dirigé l'Ensemble orchestral de Tunis, dirigé par Rachid Koubâa dans un répertoire large qui va de Grieg à Humel, Telemann et Weber. Rencontre heureuse, avantageuse entre une figure mondiale et des musiciens du Conservatoire, eh oui! c'est aussi à ces rencontres précieuses, à ces découvertes originales que l'Octobre musical nous invite, coopération à bénéfice garanti d'avance. Le public, les jeunes étudiants, les parents, les cousins et les voisines des musiciens, les habitués applaudissent sans réserve. Le poids du romantisme Visite à Naples, musique de chambre, le Quartetto Gagliano nous renvoie à la fin du Moyen-Âge, à la Renaissance, au baroque, au rococo. Sont conviés Scarlatti, Neri, Vitali, Marini et Vivaldi, les saisons passent, on ne compte plus le temps à Naples ou à Carthage. Un duo espagnol, Damian Martinez au violoncelle et Marta De Alba au violon, couleurs chaudes, sonorités amples et élans effrénés autour de Falla, une traversée de l'Atlantique pour écouter les tangos argentins d'Astor Piazzola, lancinants, déchirants. Fuego ! Cedric Pescia est une perle, que dire de plus ? Il est Suisse, joue du piano, lauréat de nombreux prix, s'est produit sur les grandes scènes internationales. Le programme qu'il a choisi de jouer à l'Acropolium est éblouissant à plus d'un titre, à marquer d'une pierre blanche. Résumé : une sonate de Beethoven, un impromptu de Schubert et une suite de Schumann, un point c'est tout. Durée, 85 minutes ; caractéristiques : les trois pièces sont composées et jouées en l'espace de 15 ans par les trois romantiques, imaginez la somme de concentration de notes, de mesures entre un Beethoven proche de la mort, un Schubert en ébullition, libéré de la tutelle du sommet, éclaté et toujours entre houle et vague. Et Schumann ? «Ah ! Mais lui, il me parle comme un être humain, pour moi, c'est presque un frère», nous déclarait Pescia qui a fait vaciller tout l'édifice. Cap sur le Portugal, un concert de chant, le public imagine, forcément du fado, les trémolos, les plaintes, complaintes et âmes à la dérive. Rien de tout cela, le Quartetto «Quadrante Europa» est composé de jeunes chanteurs, joyeux, pleins d'entrain, issus de la même école, ils sont spécialisés en musique médiévale qu'ils exécutent avec esprit et sensibilité, voix nettes et franches résonnant dans la cathédrale. Tambour pour changer et Japon de nouveau, L. Eto, joueur de Waïkado, rythme les pas de tape dance de R. Butterfly. Un papillon passe. Passage en Autriche, centre incontournable de la musique Suzanna Koller et Alexander Burggasser, piano et violon. Au programme, Mozart évidemment, Beethoven forcément, et, sans lignes de démarcation, les romantiques Schumann et Brahms. Il ne fallait pas plus pour soulever les flancs et retourner le cœur. Encore du piano, Pawel Kowalski, Pologne. Il est dans les œuvres des grands classiques, larges palettes, époques et styles différents, Mozart, Chopin évidemment, Szymanowski... Rappelons au passage que ce dernier, fasciné par l'Orient, admirateur du poète Hafiz, a visité notre pays (avril 1914) qui l'a inspiré pour «Le chant du muezzin passionné». Convaincu qu'un chef- d'œuvre abolit les frontières historiques, Kowaski saute d'un siècle à l'autre, de Mozart à Chopin avec une aisance déconcertante faisant corps avec le piano, appuis fermes sur les pédales, cheveux au vent, romantique à souhait, concentration visible, gouttelettes de sueurs. Enivrante interprétation, élan superbe et succès. Le public est ravi. Commencé en feux d'artifice au Japon, le programme nous dépose dans le calme de la Bohême. Ivo Kahanek, remarquable musicien tchèque de la jeune génération, seul au piano. Il a proposé des Nocturnes de Chopin (fatalement), fulgurances romantiques, deux morceaux au rythme slavisant de Janacek, coloré, éclatant de fraîcheur, des sonates de son compatriote B. Martiinu et... Rideau.