Un coup d'Etat qui ne dit pas son nom, mais les faits parlent d'eux-mêmes. Le président de l'ANC s'est fait subtiliser au grand jour l'essentiel de ses attributions C'est aujourd'hui que la plénière devra examiner à partir de 9h30 une nouvelle fois le règlement intérieur. Une séance qui fait contrepoids à celle du 4 novembre où des amendements ont été introduits sur cinq articles dudit règlement. Claquant la porte après une brève réapparition à l'hémicycle, l'opposition a associé son retour à l'annulation pure et simple de ces modifications jugées sournoises et abusives à son encontre. Sahbi Atig a pris sur lui de déclarer la semaine dernière devant les journalistes la prédisposition de son parti à revenir sur ces amendements. Un revirement pragmatique, a-t-on laissé entendre, en vue de désamorcer la crise qui paralyse l'ensemble du paysage politique. Le président du groupe parlementaire du parti Ennahdha a invité par la même occasion ses collègues à reprendre leur place dans les travées. Il est vrai qu'une coupole presque unicolore n'a jamais rendu service à personne. Le parti dominant en premier. Rappel des faits, une plénière avait été convoquée, un certain lundi 4 novembre, pour réviser l'article 106 dans l'objectif déclaré d'une mise en conformité avec la feuille de route, et, parallèlement, pour booster le processus constitutif. Faisant d'une pierre deux coups, le parti Ennahdha & associés ont amendé les articles 36, 79, 89 et 126. De ce package, seuls les articles 36 et 79 ont eu droit au veto de la minorité, mais pas seulement. Rien n'est gagné Revus et corrigés, les textes de loi habilitent quelque 109 députés à organiser une plénière, sans l'aval du président. Mais encore, le bureau de l'ANC, cette instance décisive, aura la latitude, via la présence de quelques membres, à tenir une réunion et décider, de fait, des priorités de la Constituante. Un coup d'Etat qui ne dit pas son nom, mais les faits parlent d'eux-mêmes. Le président de l'ANC s'est fait subtiliser au grand jour l'essentiel de ses attributions. Non content de se faire tirer le tapis sous les pieds, Mustapha Ben Jaâfar et ses députés du parti Ettakatol se joignent à la contestation, quoique de manière plus discrète, pour faire barrage, eux aussi, à la ratification des nouveaux amendements. Des réunions préparatoires de la commission du règlement intérieur présidée par Haythem Ben Belgacem, du CPR, et des chefs des groupes parlementaires ont eu lieu les jours passés, pour préparer la plénière d'aujourd'hui. Un balisage de terrain qui aurait permis, théoriquement, de venir à bout des divergences qui bloquent la mise en forme du moindre accord consensuel à l'ANC et sur le deuxième théâtre politique, le dialogue national. Rien n'est gagné, cependant, le groupe parlementaire nouvellement constitué « Souveraineté du peuple», qui réunit, notamment, le mouvement Wafa, des indépendants et le courant «Mahaba», a fait savoir son refus catégorique de l'abrogation des nouveaux articles, et promettent une surprise aujourd'hui. Or, «Souveraineté du peuple» et acolytes, se présentant comme la troisième voie et s'opposant farouchement à toute forme d'alliance entre Ennahdha et les autres acteurs politiques, pèseraient en comptant large une quarantaine de voix. Il ne fait pas le poids, même si le CPR se joignait à lui, pour contrecarrer la volonté du parti majoritaire. Sauf si une partie des élus nahdhaouis s'y rallient. Le jeu de rôles La sortie du bouillonnant Néjib Ben Mrad lors de la plénière du 20 novembre semble préparer à ce cas de figure. Fumant et vociférant, le constituant s'est déclaré contre le dialogue national, contre l'opposition, contre l'abrogation des amendements. Bref, contre tout le monde, y compris, le président de son groupe parlementaire. Sahbi Atig venait alors de tenir un point de presse pour annoncer l'accord du parti au pouvoir à annuler les articles controversés. M.Ben Mrad, qui était très en colère et l'a fait savoir bruyamment, a clos son intervention par une invitation élégante adressée à ceux qui n'étaient pas d'accord avec lui «d'aller boire l'eau de la mer». A supposer que ce coup d'éclat soit authentique et non pas un jeu de rôles. Le député Ben Mrad serait certainement revenu à de meilleurs sentiments, une fois la colère passée. Il n'est un secret pour personne que le mouvement Ennahdha, malgré les bruits qu'il fait courir sur sa gestion démocratique interne, est un parti tenu d'une main de fer, administré par un code de conduite auquel tout le monde est tenu d'obéir rigoureusement. Les militants, ministres, voire premier ministre, qui risquent une sortie des rangs savent d'avance qu'ils compromettent sérieusement leur carrière politique, peut-être à jamais. C'est Rached Ghannouchi qui s'est chargé lui-même un jour de le rappeler à Hamadi Jebali, alors chef de gouvernement. Ce n'est donc pas un député, si indocile soit-il, qui oserait transgresser la consigne de vote. Moralité de l'histoire : si les amendements sont maintenus c'est qu'Ennahdha l'aurait voulu.