Le leader du mouvement Ennahdha, Rached Ghannouchi, semble le plus affecté par ces tiraillements. Jusqu'ici, il jouait un rôle fédérateur entre la dizaine de courants au sein de son parti. Des considérations historiques et matérielles y président Plus le choix du nouveau chef du gouvernement traîne, plus le dialogue national s'enlise. Et les différends et controverses prennent de l'ampleur. Cependant, les controverses semblent devenir un véritable phénomène qui passe outre les lignes de clivage habituelles. Maintenant, on se retrouve un peu dans la posture de la guerre tous azimuts. Outre dans tel bloc de l'opposition, cela se vérifie surtout du côté de la défunte Troïka gouvernementale. Une Troïka qui n'en finit pas de trépasser en longueur si l'on ose dire. Témoin, le désaccord profond au sein du mouvement Ennahdha, principal parti gouvernemental. Le dernier vote à l'Assemblée constituante sur le retrait d'articles controversés a révélé les divergences fratricides tranchées des nahdhaouis. Cela s'est vérifié également avec la succession, ces dernières semaines, de démissions de figures dirigeantes ou de cadres intermédiaires ou de base. Le Conseil de la choura d'Ennahdha semble tiraillé par les divergences profondes. Les lézardes dans l'édifice, jusqu'alors compact, du mouvement islamiste sautent aux yeux. Pourtant, les observateurs s'accordaient pour souscrire que l'unité des rangs et la discipline de parti caractérisaient, jusqu'à il y a peu, le parti Ennahdha. En fait, l'expérience du pouvoir est passée par là. L'usure du pouvoir aussi et, surtout, tenir le haut du pavé et occuper les devants de la scène ont leur revers et travers. Comme l'instruit l'adage, celui qui a les avantages, a les charges et les risques. Mais, la transition supposée brève et, comme son nom l'indique, passagère, fait du surplace. Au point de virer à la transition bloquée. Avec ses excroissances perverties, telle l'usure du pouvoir en quelques mois, alors qu'elle n'est généralement opérationnelle qu'au bout d'une décennie. Il faut dire que le leader du mouvement Ennahdha, Rached Ghannouchi, semble le plus affecté par ces tiraillements. Jusqu'ici, il jouait un rôle fédérateur entre la dizaine de courants au sein de son parti. Des considérations historiques et matérielles y président. Pour maints responsables politiques et observateurs avertis, Rached Ghannouchi est le seul interlocuteur qui ait réellement du poids et peut infléchir le cours des choses au sein d'Ennahdha. Mais ses sympathies et son pouvoir sont opérationnels au sein de cercles superposés et concentriques : ceux de l'intérieur et les expatriés, ceux qui ont fait la prison et ceux qui n'en ont pas fait, les vieux routiers et les nouvelles recrues, les colombes et les faucons, les rapprochés de Ghannouchi et ceux qu'il tient à distance, les salafistes convaincus et les fondamentalistes vieux jeu, les purs et durs et les pragmatiques... Disons-le. L'expérience du pouvoir a différencié les nahdhaouis en privilégiés et laissés-pour-compte. Pour la plupart des islamistes tunisiens, le pouvoir est une espèce de butin de guerre et un pactole. Ils le conçoivent ainsi et se positionnent en fonction de cela. Les impératifs de la realpolitik font perdre certaines auras aux éternels va-t-en guerre. Il est vrai que camper le maximaliste pur jus est autrement plus facile que s'adonner aux subtilités du compromis et du modus vivendi. Plus Rached Ghannouchi retarde les issues du Dialogue national, plus, paradoxalement, il fait face à des contestations de plus en plus fréquentes et criardes au sein de son parti. Aujourd'hui, le dialogue national semble caler dans une bulle d'enlisement. Et la transition sombre elle aussi dans les perspectives brumeuses. Entre-temps, les dispositifs partisans vacillent. La Troïka gouvernementale n'en est plus une. Le parti Ettakatol prend ses distances tout en ne claquant pas la porte. Le CPR s'est scindé en pas moins de quatre partis. Et le mouvement Ennahdha est aux prises avec les démons de la division et des querelles intestines. Thomas Hobbes a parlé de la guerre de tous contre tous. Dans un livre célèbre intitulé «Le Léviathan, le monstre du chaos primitif». Et c'est tout dire.