Kaïs Saïed, constitutionnaliste: “L'alliance entre les composantes de la troïka n'est pas un mariage heureux; le divorce est fort probable" Khalil Zaouia accuse Ennahdha de vouloir contrôler les rouages de l'Etat Il ne se passe désormais plus un mois sans que des divergences plus ou moins profondes n'éclatent au sein de la coalition tripartite au pouvoir regroupant le mouvement islamiste Ennahdha, le Congrès pour la République (CPR) et le Forum Démocratique pour le Travail et les Libertés (FDTL ou/ Ettakatol). Les responsables du CPR et d'Ettakatol multiplient les déclarations peu avenantes à l'égard de leurs alliés. La dernière déclaration qui témoigne d'un certain malaise au sein de ce triumvirat en date est celle de Khelil Zaouia, membre du Bureau politique d'Ettakatol et ministre des Affaires sociales. S'exprimant lors d'une réunion organisée, le week-end dernier, par Ettakatol à Sfax sur la situation générale dans le pays, Khelil Zaouia a accusé Ennahdha de vouloir «contrôler les rouages de l'Etat». Il a également affirmé que le mouvement Ennahdha constitue le principal rival de son parti aux prochaines élections, tout en soulignant la nécessité de parvenir à un consensus politique pour la construction d'un Etat démocratique loin des tiraillements politiques. «L'état de panique et de flou que vit aujourd'hui le Tunisien s'explique par la lenteur du gouvernement et de l'Assemblée constituante qui tardent à parachever l'étape transitoire et à trancher sur certains dossiers», a-t-il relevé, mettant également en cause «la faiblesse des acteurs politiques et la situation fragile qui prévaut dans le pays». Khelil Zaouia a, d'autre part, considéré que les remous dans le rendement du gouvernement sont «un fait normal» lors d'une phase de transition qui exige consensus et dialogue. La pique envoyée par le ministre des Affaires sociales à Ennahdha n'a pas tardé à susciter une réaction du parti de Rached Ghannouchi. Le chef du groupe parlementaire d'Ennahdha à l'Assemblée nationale constituante, Sahbi Atig, , a sermonné le ministre rebelle. “Khelil Zaouia aurait dû s'en tenir au devoir de réserve, étant ministre et membre de l'instance de coordination de la troïka", a-t-il notamment dit; rappelant que le leader d'Ettakatol, Mustapha Ben Jaâfar avait qualifié la troïka, “de coalition stratégique".
Mésententes cordiales Ces critiques auxquelles répondent les dirigeants d'Ennahdha par des remontrances ne sont pas les premières du genre exprimées au sein de la troïka. Le 24 août dernier, c'est le Président de la République Moncef Marzouki en personne qui a accusé Ennahdha de “chercher à faire main basse sur les rouages de l'Etat" . Dans une lettre adressée aux participants au congrès de son parti, le CPR , Marzouki avait, alors, comparé les agissements d'Ennahdha à la tête du gouvernement à ceux de l'ancien régime de Ben Ali. Le président de la République a ainsi affirmé que «ce qui aggrave la situation, c'est que nos frères d'Ennahdha cherchent à contrôler les rouages administratifs et politiques de l'Etat, par le biais de la nomination de leurs sympathisants, sans qu'il ne soit tenu compte des compétences». Marzouki a également souligné que “la domination d'un seul parti pourrait de nouveau mener à la dictature". La lettre lue par Walid Haddouk lors de la cérémonie d'ouverture du congrès du CPR n'a pas été appréciée par les dirigeants d'Ennahdha qui assistaient au congrès. Plusieurs ministres, dont ceux de l'Intérieur Ali Laârayedh et celui des droits de l'Homme et de la justice transitionnelle, Samir Dilou ont même quitté le Palais des Congrès pour manifester leur désapprobation. le Chef historique d'Ennahdha est allé jusqu'à demander à Moncef Marzouki de cesser à jouer au président opposant. “On ne peut pas être à la fois dans le pouvoir et dans l'opposition", a-t-il déclaré en substance.
D'autres mésententes fortement relayées par les médias montrent que la cohabitation entre les trois partis alliés est assez difficile. Il en est ainsi pour l'extradition de Baghdadi Mahmoudi suite à laquelle Moncef Marzouki a dénoncé un “empiètement sur ses prérogatives" ou encore pour les divergences persistantes sur les prérogatives du Président de la République et du premier ministre au sein de la commission des pouvoirs législatif et exécutif et des relations entre eux.
Avenir incertain Force est , toutefois, de constater que les leaders des trois partis tiennent après chaque désaccord à rappeler le “caractère stratégique de la troïka". Après Rached Ghannouchi et Mustapha Ben Jaâfer, le chef du CPR a plaidé, le week-end dernier, pour la pérennité de l'alliance tripartite. “C'est une alliance stratégique et nous souhaitons qu'elle soit maintenue dans les cinq prochaines années. Le dialogue entre les islamistes et les laïcs sera la clef de la stabilité du pays", a-t-il indiqué, dans un entretien accordé à l'agence de presse officielle russe. La troïka peut-elle vraiment résister aux tiraillements perceptibles entre les trois partis? “ Il est encore prématuré de se prononcer sur l'avenir de cette alliance tant le paysage politique est actuellement instable. Une chose est, cependant, sûre: L'alliance entre les composantes de la troïka n'est pas un mariage heureux. Le divorce est fort probable", répond Kaïs Saïed , professeur de droit constitutionnel. Et d'ajouter : “les critiques adressées par Ettakatol et le CPR à Ennahdha se situent dans le cadre d'une campagne électorale avant l'heure. Mais Ettakatol et le CPR peuvent-ils réellement désormais changer de mari ou de concubin? Ont-ils d'autres choix que de s'allier avec Ennahdha en vue des prochaines élections?" Selon M. Saïed Ettakatol semble particulièrement condamné à rester l'allié d'Ennahdha. “Ce parti a perdu un grand nombre de ses élus à l'Assemblée nationale et une bonne partie de son électorat. L'alliance avec Ennahdha n'a pas été digérée par la base du parti, dont la marge de manœuvre se trouve aujourd'hui très réduite. Bref, l'avenir de la troïka est aujourd'hui très incertain", indique-t-il.