Par Soufiane Ben Farhat Les dissensions au sein de la Troïka sont devenues criardes. A preuve, les propos du président de la République dans son discours à l'ouverture du congrès du CPR. M. Moncef Marzouki n'y est pas allé du dos de la cuillère. Il a comparé les agissements d'Ennahdha à ceux du régime déchu de Ben Ali. Ainsi a-t-il affirmé que «ce qui aggrave la situation, c'est que nos frères d'Ennahdha cherchent à contrôler les rouages administratifs et politiques de l'Etat, par le biais de la nomination de leurs sympathisants, sans qu'il ne soit tenu compte des compétences». Il a souligné par ailleurs que la domination d'un seul parti pourrait reconduire la dictature. Des propos assez sérieux. Au scalpel. Les principaux dirigeants nahdhaouis ont promptement réagi. Ali Laarayedh, ministre de l'Intérieur, son collègue des Droits de l'Homme et de la Justice transitionnelle, Samir Dilou, le ministre de l'Agriculture Mohamed Ben Salem, ainsi que le constituant nahdhaoui Amer Laarayedh, ont quitté le Palais des Congrès. Une manière de signifier leur désapprobation, séance tenante. Bref, l'incident est majeur. Il est en même temps révélateur de l'état d'esprit des protagonistes de la Troïka gouvernementale. Celle-là même qui affichait il y a peu son indéfectible union à toute épreuve. Les dissensions sont devenues publiques. Et lourdement signifiées. Sans gants ni fioritures. Il semble que chacun se la joue désormais seul. Le spectre de la dernière ligne droite hante les alliés. Prématurément. Tous ont en vue les prochaines élections. Ennahdha a lâché visiblement Moncef Marzouki. Ce dernier ne sera plus son poulain pour la prochaine élection présidentielle. Lui-même ne se fait plus d'illusions à ce propos. Il fait face à son destin. Et tient à se démarquer d'Ennahdha publiquement. D'autant plus que son carré de fidèles s'effrite à vue d'œil, au sein de son propre parti. Le président en exercice joue le présidentiable. M. Mustapha Ben Jaâfar, dirigeant d'Ettakatol, est aux aguets. Il affiche volontiers sa désapprobation de la démarche du président de la République. Une place vacante se profile. Autant s'y investir. C'est dire où en sont les choses actuellement. Mais, à bien y voir, ce n'est guère pour étonner. La Troïka est une alliance de dernière minute. Elle n'avait guère mûri durant une longue période. Elle est apparue subitement, à la faveur d'alliances électoralistes de la dernière heure. Sa théorisation elle-même a été fortuite. Et puis la hâte dans sa mise en place n'a guère autorisé de fixer préalablement les prérogatives des uns et des autres. Il en est résulté des situations de frictions et de frustrations dès le départ. Les débats sur l'organisation provisoire des pouvoirs publics en ont donné un affligeant constat. Aujourd'hui, il y a, en plus, le passif de l'exercice du pouvoir. Et de l'usure du pouvoir. Cette dernière a été rapide, trop rapide. Et brutale. Les alliés en sont arrivés à se regarder en chiens de faïence. Irréductiblement. Les mois à venir promettent d'être particulièrement âpres. Le texte de la Constitution n'a pas encore été conçu. Les dates des échéances constitutionnelles aussi. Elles suscitent de profondes divergences au sein même de la Troïka. Les dispositions constitutionnelles sont elles aussi conçues à l'aune des intérêts spécifiques des uns et des autres. Ennahdha s'accommoderait volontiers d'un régime parlementaire. Ce qui n'est guère le cas du CPR et d'Ettakatol. Sans parler d'autres protagonistes de la place politique. Et puis il y a les urgences économiques et sociales, dans un environnement difficile et ingrat. Où ceux qui gouvernent n'ont pas le beau rôle. Le plus difficile est à venir. Les lézardes dans l'édifice de la Troïka pourraient devenir des brèches calamiteuses