A deux doigts de la délivrance, certaines parties ont commencé à fanfaronner sur la place publique pour annoncer le triomphe de leur candidat Samedi prochain est annoncé comme le jour J de l'histoire du Dialogue national. Le pays est tenu en haleine, dans l'attente que se profile dans le ciel gris de la Tunisie le nom du futur chef du gouvernement. Faute de quoi, contraint et forcé, le Quartet est tenu d'annoncer l'échec des négociations. Même si le mot est devenu sacrilège, les faits parlent d'eux-mêmes. En attendant, il faudra bien tirer une première conclusion ; le Dialogue n'a pas abouti. Non parce que le consensus était impossible au terme de laborieuses concertations, mais parce qu'à deux doigts de la délivrance, certaines parties ont commencé à fanfaronner sur la place publique pour annoncer le triomphe de leur candidat. Des hommes et des femmes « politiques » se sont jetés à corps perdu sur leurs pages facebook et les micros pour avoir la primeur de cette annonce à vocation nationale et damer le pion à tout le monde. «Il ne faut pas crier victoire avant d'avoir atteint le but», proverbe canadien. Une autre maxime célèbre énonce qu'«il ne faut pas vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué». C'est une des morales tirées des Fables de La Fontaine, porteuses, ô combien, de sages leçons. Les fables persanes, «Kalila wa Dimna», traduites par Ibn Al-Muqaffa, présentent des morales similaires pour instruire, selon l'ambition de l'auteur, sur l'éthique politique de son époque. Justement, les choses n'ont pas beaucoup évolué depuis ! L'éternel humain C'est à la lumière de ces tristes constats que l'on s'interroge sur les véritables motivations de pareils agissements. « Cela m'a donné matière à réfléchir, médite Selma Baccar, tout haut. On était à deux doigts de trouver une solution entre deux personnalités. Cela a foiré, uniquement parce que des gens supposés être l'élite politique traitent ces questions comme l'auraient fait des enfants. Au lieu de penser à l'objectif ultime, on se mesure et on crie victoire. C'est un manque de maturité politique, accuse l'élue du parti Al Massar, pour continuer : «Je ne suis pas une experte politique, mais j'ai l'expérience de la vie. Dans la vie, quand on veut réussir quelque chose, il faut être pragmatique et discret. Il y a eu des déclarations ridicules et irresponsables de la part de personnes qui prétendent faire de la politique et qui occupent des postes importants dans leurs partis. Ils ont fini par griller leur candidat. C'est l'éternel humain qui est en faute. Les autres partis ont refusé par réaction de donner leur accord, en réagissant contre ce triomphalisme déplacé». Les propos de la députée de l'opposition n'étaient pas assez durs envers ceux qui ont sabordé en leur âme et conscience l'ultime espoir du pays. Les calculs et autres ego surdimensionnés sont nécessaires pour faire de la politique, encore faut-il savoir doser et faire l'équilibre entre servir sa propre carrière et faire passer, quand il le faut et en premier, l'intérêt suprême du pays. Visiblement cela n'a pas été le cas. L'art du compromis Devant ce fait accompli, et en espérant que les esprits se calmeront et les concertations reprendront, mais discrètement, tout le monde s'accorde à dire qu'il faut changer de méthode sur la période qui reste. Quand les uns, à l'instar d'Al-Massar et d'autres formations de l'opposition, souhaiteraient charger le Quartet de la désignation d'un candidat, argumentant qu'il bénéficie d'une large représentativité auprès de la population, et d'une neutralité vis-à-vis de tous, Ennahdha refuse net ce dernier recours. Il reste que la liste finale des candidats comporterait 18 noms, sans oublier le fait que le pays regorge de compétences. L'espoir est permis donc, mais l'alternative au Dialogue n'existe pas, ou elle fait peur. C'est la voie ouverte vers l'inconnu. Il faudra trouver le moyen pour imposer la discrétion à toutes les parties prenantes et annoncer les règles du jeu avant d'entamer le dernier round, insiste encore Selma Baccar, en énumérant des propositions : « Il faudra passer au vote ou bien favoriser la majorité des voix. Il s'est passé des choses illogiques et irrationnelles. Lorsque, sur 21 partis, 20 soutiennent un nom et qu'un seul parti est contre, il faudra, tout de même, que ce parti s'aligne, quel que soit son poids sur l'échiquier politique », a-t-elle conclu. Un constat amer : depuis que le pays s'est lancé dans les négociations tous azimuts, aucune n'a abouti. C'est à croire que l'art de la négociation fait défaut chez les Tunisiens. Une certitude, cependant, le consensus, couronnement ultime d'une négociation fructueuse, ne tombe pas du ciel, porté par une inspiration de génie, mais passe nécessairement par l'addition des compromis. Or, le compromis, avait écrit une fois un politologue tunisien, ne fait pas partie de la culture politique arabo-musulmane. « Dans l'histoire des Etats arabes, a-t-il analysé, aucun compromis ne s'est développé. En revanche, les Anglo-saxons ont une culture du compromis. Le pragmatisme est né en Angleterre ». Voilà qui explique une partie de nos déboires. Mais ce qui se refuse à nous par l'héritage historique et peut-être même génétique, pourrait s'acquérir, espérons-le, par la pratique. Et au final, aucun parti ne doit se déclarer ni vainqueur, ni vaincu. C'est le bien public qui aura eu raison de tous.