Pour combattre la corruption, un long chemin reste encore à parcourir, mais la prise de conscience des prestataires de services et des clients est nécessaire comme point de départ. Au sein des entreprises publiques ou privées, les actes de corruption sont de plus en plus fréquents. Il faut se référer au témoignage des citoyens pour avoir une idée assez large sur ce phénomène que l'on croyait disparu avec l'ancien régime. Certes, ces actes semblent anodins, mais ils sont classés quand même dans la rubrique de la corruption. Par le passé, celle-ci était presque «monopolisée» par le pouvoir en place, la famille présidentielle et les proches. Des ordres d'en haut étaient adressés aux directeurs des différentes administrations pour effectuer certaines opérations avec les facilités d'usage, sans tenir compte de la réglementation en vigueur. Même les banques n'ont pas été épargnées, dans la mesure où plusieurs d'entre elles ont été contraintes d'accorder des crédits sans jamais être remboursées. Cela a eu des conséquences fâcheuses sur les équilibres financiers de ces établissements sans que personne n'ose dénoncer ces actes. Avantages en nature Aujourd'hui, la corruption a touché plusieurs secteurs à des niveaux différents. Adnène, habitant à Nabeul, déclare que «dans l'un des points d'eau gérés par les associations d'intérêt collectif, près de sa région, la corruption est devenue monnaie courante depuis quelque temps, puisque le responsable des citernes d'eau donne la priorité aux familles qui lui présentent des avantages en nature comme les repas. D'autres familles qui ne se plient pas à ses désirs n'auront pas cette même chance». Pourtant, toutes les familles ont le droit de bénéficier de l'eau, qui n'est pas toujours disponible, sous prétexte que les réserves sont épuisées. Ce n'est là qu'un acte parmi tant d'autres. Le premier responsable d'un service essaye toujours d'utiliser son poste pour ses propres intérêts, ceux de ses proches et de ses connaissances, sans tenir compte des autres. Et notre interlocuteur de proposer «un meilleur suivi de ces associations par les autorités compétentes, afin qu'elles s'acquittent de leur mission dans la transparence totale et l'équité, quitte à imposer des sanctions aux contrevenants. Grâce au contrôle continu, les actes de corruption peuvent connaître une diminution». Il faut reconnaître par ailleurs que certains citoyens contactent les autorités compétentes lorsqu'ils sont victimes d'un acte de corruption. Malheureusement, cela n'est pas toujours pris au sérieux, ce qui encourage la personne incriminée à continuer ses opérations louches. Mariem, étudiante, dont le père travaille à la présidence du gouvernement, a vécu une telle expérience. Elle déclare qu'un «agent d'accueil d'une administration publique lui a promis de rencontrer le directeur si elle lui donne quelques documents administratifs, et ce, pour éviter le déplacement». La jeune étudiante a contacté le ministère concerné pour dénoncer cet acte, mais aucune suite n'a été donnée à sa réclamation. Cadeau de bienvenue Le fait est que certains actes de corruption ne peuvent pas être prouvés, faute de preuves concrètes. La réclamation formulée par le plaignant n'est pas donc prise en considération. Les corrupteurs prennent leurs précautions avant de commettre leur forfait pour ne laisser aucune trace. Ils ne signent pas de documents et ne donnent aucune pièce d'identité. Tout se fait en catimini, loin des regards indiscrets. Dans certains établissements comme les hôtels, les restaurants et autres lieux de service collectif, le pourboire est devenu, par exemple, un droit. Certains agents exigent même qu'un certain montant leur soit octroyé en contrepartie de l'effort déployé. Pourtant, ces agents sont payés pour effectuer ce travail. C'est aussi le cas dans plusieurs restaurants et cafés où le pourboire fait partie du service rendu. Même certains chauffeurs de taxi qui transportent leurs clients à partir de l'aéroport exigent de ces derniers de leur donner une somme supplémentaire comme cadeau de bienvenue. Il faut dire aussi que les clients encouragent parfois ces actes illégaux — car non prévus par la loi —, puisqu'ils proposent aux prestataires de services un cadeau ou un pourboire pour faciliter et accélérer les procédures. Rares sont ceux qui refusent ces cadeaux. Ces actes se font «entre amis, sans que personne ne s'y oppose». Une autre forme de corruption — qui date depuis belle lurette — résiste malgré les réformes successives effectuées au niveau de l'administration et des entreprises privées. Il s'agit du piston pour l'emploi des proches et des connaissances. Ce phénomène touche actuellement le secteur privé. Quand un chef d'entreprise a un poste vacant, il fait appel d'abord à ses proches ou connaissances pour dénicher l'oiseau rare. Au cas où il ne trouverait pas la compétence recherchée, il publie une annonce dans les journaux comme dernier recours. Certains postes sont carrément créés pour faire plaisir à une connaissance. A une certaine période, même l'administration publique a été marquée par la complaisance au niveau des recrutements, ce qui a alourdi son effectif sans enregistrer la rentabilité escomptée. Cela a eu pour effet des charges supplémentaires au niveau du budget de l'Etat. Pour combattre la corruption, une prise de conscience collective doit être prise. Aussi bien le prestataire de services que les clients sont appelés à respecter la réglementation en vigueur pour que chacun s'acquitte de sa mission dans la transparence totale et l'équité. Pour combattre la corruption — qui touche aussi les pays développés à des degrés différents —, un long chemin reste encore à parcourir...