Comme si on ne vivait pas dans le même pays. Quand le peuple compte ses morts, la sphère jihadiste bat le tambour et annonce les exploits L'opération de Jendouba introduit un nouvel élément dans le mode opératoire des jihadistes, qui est en train de s'affiner. Cette dernière opération est scénarisée avec le plus grand soin ; les terroristes déguisés en forces de l'ordre, plaçant un faux barrage, s'en est suivi un faux coup de fil à l'intérieur, affirmant que des bandits attaquent les passants. Un piège ficelé qui donne à voir l'extrême organisation de ces terroristes ainsi que leur grande capacité logistique. Parfaitement entraînés aux armes, possédant munitions et uniformes, connaissant les habitudes des unités de la garde nationale, les terroristes, produit local, agissent avec rapidité et « efficacité». Sûrs d'eux, ils atteignent leurs cibles, tuent des Tunisiens chargés de protéger le pays et endeuillent tout un peuple. Et c'est reparti pour un nouveau coup sur un autre point du territoire. Comme si on ne vivait pas dans le même pays. Quand le peuple compte ses morts, la sphère jihadiste bat le tambour et annonce les exploits. L'opération est accueillie avec une joie non dissimulée. On félicite les soldats de Dieu pour avoir battu ceux du diable. Et on prie pour plus d'opérations, plus de succès, plus de sang ! La globalisation de la mouvance locale est confirmée. Dans les mêmes pages que «salafiya fél Kram» ou «milatu ibrahim» citées dans un article de la Presse paru le 12 février, les attentats en Irak et en Syrie sont recensés avec le même triomphalisme que ceux commis sur le territoire national. Ici explosion d'une voiture piégée, là d'une bombe artisanale. On commence à cueillir les fruits du« fath al moubine ». C'est l'ère des grandes conquêtes islamiques. L'instauration du califat est en bonne voie. Si on voulait être informé en temps réel des opérations jihadistes, le suivi de leurs pages apporte des éclairages édifiants. Se sachant lus et se croyant supérieurs, frappés par l'inspiration divine, ile ne se sont pas privés par le passé de relayer de fausses informations. Pour l'heure, le départ en Syrie de Kamel Zarrouk, digne remplaçant de son maître Abou Yadh, est annoncé. Ce qui pourrait signifier dans leur jargon, qu'il se cache quelque part dans le pays. L'intrusion de l'élément féminin Si le ministère de l'Intérieur annonce un contrôle renforcé sur le port du niqab, c'est que la menace est réelle. Non seulement le voile intégral permet aux salafistes masculins de se déplacer à l'aise, mais il y a un danger qui se précise en provenance des femmes. La gent féminine sur la Toile jihadiste tunisienne a fait une entrée en force. C'est le deuxième élément nouveau du mode opératoire. Sous couvert d'anonymat, signant sous des pseudonymes évoquant des célébrités de l'histoire islamique, leurs commentaires laissent voir plus de hargne, plus de persistance. Elles haranguent les hommes en les traitant de «achbah arrijal» des pseudos mâles. Elles tiennent leurs propres pages, le ton y est très virulent. Leur force réside dans une grande capacité de mobilisation. Certaines d'entre elles se présentent sous le titre légitimateur d'épouses des chahids «martyrs». Troisième élément qui a fait son apparition de façon insistante dans la blogosphère salafo-terroriste : le « takfir », excommunication, ne concerne plus les soldats du « taghout » seulement, mais «tous ceux qui ne sont pas avec nous ». Autrement dit, la société tunisienne. C'est elle la nouvelle cible qui doit être combattue. Par un simple raccourci, cette population s'est éloignée du droit chemin, elle mérite donc la mort. Sur ces mêmes pages, canal de distribution de prêches violents et méthodiques, un programme en six points est diffusé, dont le premier est de s'insurger contre les gouvernants, « al khourouj ala hakem ». Par l'évocation des versets du Coran et des hadiths (les propos du Prophète), le doute n'est plus permis. A la guerre, Dieu appelle. Les photos de profil des terroristes morts sont partout, accompagnées par le slogan incitateur «Mourez comme eux pour la même cause». Silence coupable Constats ; les cellules dormantes commencent à entrer en action une par une, les armes circulent impunément dans le pays et les uniformes officiels également. La lecture de ces données nous inciterait par conséquent à ne pas écarter trois éventualités : l'implication directe des femmes dans de futures actions terroristes. Deuxièmement, le tour des voitures piégées risque de caractériser la prochaine étape. Troisièmement, puisque la société tout entière est visée par le takfir, le coup d'envoi pour des attaques contre des civils est à craindre. Parmi les martyres de Jendouba, il en y avait. Les Tunisiens savent que le pays est doté des meilleures unités spéciales antiterroristes, mais il sait également que la décision politique a tardé cruellement. Ce sont les hommes politiques responsables de cette tragédie qui frappe la Tunisie et non les hommes de terrain. Et, malgré tout ce qui a été fait, un sentiment d'impunité persiste dans l'air, pendant que les autorités religieuses sont aux abonnés absents. Ni le mufti, ni le nouveau ministre des Affaires religieuses n'ont condamné de façon définitive et sans équivoque le terrorisme et ceux qui le pratiquent. C'est bien à cause de ce silence coupable, à cause de cette clémence justificatrice enrobée de droit de l'homéisme, que les groupes jihadistes continuent sans peur à animer des pages, à fréquenter des mosquées, à planifier et à tuer. Et, à chaque fois que des innocents meurent, on ne peut s'empêcher de se rappeler le nombre incalculable d'avertissements qui avaient été lancés par les observateurs, par les partis politiques, par les journalistes aux autorités et au gouvernement pour attirer l'attention sur le risque terroriste. Avertissements reçus avec désinvolture, passivité et parfois avec ironie. Aujourd'hui, c'est dans nos chairs que nous savons que le terrorisme n'est pas un épouvantail, (fazaâ). Il y a des passivités et des inerties qui sont autant de complicités. L'Histoire jugera mais les Tunisiens ne doivent pas oublier.