Apprendre aux artisanes à monter un dossier, présenter un produit, maîtriser l'outil informatique Le commencement du parcours de Leïla Ben Gacem n'augurait en rien celui qu'elle poursuit aujourd'hui. Ingénieur bio-médical, aux USA, elle trouvait, en travaillant avec les hôpitaux, le plaisir du contact, le goût de la proximité. Nommée responsable commerciale pour plusieurs pays d'Europe et du Maghreb, dont la Tunisie, elle en vient à se poser des questions : ne sommes-nous là, Tunisiens, que pour consommer ce que d'autres produisent ? Elle, dont le métier était de faire du «business development», pourquoi n'en ferait-elle pas pour son pays ? Elle abandonne tout, et rentre travailler «pour les Tunisiens». Avec tous les problèmes que peuvent poser à une jeune femme, moins fragile qu'elle n'en a l'air pourtant, ce changement brutal de perspective. Après six mois difficiles, Leïla Ben Gacem est appelée au Famex pour travailler sur un projet d'encadrement d'artisans. De l'artisanat, elle ne savait rien, mais apprenait vite. Ingénieur au pays des artisans, elle se focalisa sur le «made in Tunisia», créa un label, donna des normes de qualité, s'attacha à exporter l'image de la Tunisie. Sa mission : apprendre aux artisanes à monter un dossier, présenter un produit, maîtriser l'outil informatique. Elle travailla avec les femmes du Kef, celles de Tozeur, avec les femmes chefs d'entreprise... En un mot, elle mena si bien sa mission qu'elle devint rapidement «la» spécialiste de l'artisanat. Et qu'immanquablement, on entendit parler d'elle, à l'international, et qu'on l'appela pour d'autres missions. A Bahreïn, d'abord, puis aux Emirats, pour former des groupes d'artisanes, structurer des entreprises. Aujourd'hui, à Abou Dhabi, et dans le cadre d'un financement du Fonds Khalifa, elle part à la recherche de la mémoire perdue de l'artisanat. Il y a cinquante ans, les femmes des Emirats tissaient leurs tentures, leurs tapis, leurs nattes, leurs vêtements. Retrouver les points, les nœuds, les couleurs, les motifs de ces traditions oubliées a été une longue quête pour Leïla Ben Gacem. Depuis cinq ans, elle recueille le corpus que lui confient les quelque deux cents artisanes qu'elle a réussi à identifier, et en fait un label «made in EAU», exposant ces créations revisitées de traditions rurales qu'elle fait revivre dans des galeries, dans les avions des compagnies nationales, dans les entreprises phare de la région. Mais tout va très vite là-bas et, aujourd'hui, après avoir recueilli la mémoire de cet artisanat que l'on croyait disparu, et qu'une Tunisienne a sauvé, Leïla Ben Gacem entame la deuxième phase de son action : la formation de jeunes artisanes qui la rendront pérennes. Pour ce faire, elle envisage de créer des micro-entreprises. Mais cela est une autre histoire. Et, en attendant, parce que cette ingénieure bio-médicale est tombée dans l'amour du patrimoine, et que l'on n'en sort pas indemne, elle vient d'ouvrir, à Tunis, sur la très aristocratique rue du Pacha, une délicieuse maison d'hôtes où le maître mot est le respect du patrimoine