Les «robes noires» décidés à se faire respecter... Toutefois, ils ne sont pas contre l'apaisement Le choc des titans qui oppose les avocats et les magistrats tunisiens continue de défrayer la chronique. En effet, malgré une multitude de médiations et plusieurs initiatives pour réconcilier ces «frères ennemis», le statu quo dans cette crise est plus que jamais d'actualité. Devant un tel immobilisme, l'Ordre national des avocats de Tunisie (Onat) a organisé, hier devant le Palais de Justice à Bab Bnet, un bref sit-in de protestation suivi d'une marche qui a mené les protestataires jusqu'à la Cour de cassation, siège de l'Instance provisoire de l'ordre judicaire. Corruption et réforme comme mots d'ordre Une centaine d'avocats étaient au rendez-vous à partir de 10 heures 25 pour réclamer la réforme de l'institution judiciaire. Nombreux étaient les slogans affichés sur des pancartes et scandés par les manifestants : «Ni syndicat, ni associations, l'avocatie est le symbole de la liberté», «le peuple exige l'assainissement de la justice», «l'avocatie est libre et la corruption out», «l'avocatie tunisienne soutient les causes d'égalité et de justice», «non à l'article 104 de la Constitution», «non à une immunité pénale pour les magistrats sans une immunité pour les avocats», «l'avocatie tunisienne est unie contre toute agression de la part d'une quelconque partie», etc. Me Mohamed Fadhel Mahfoudh, bâtonnier de l'Ordre des avocats, précise que cette manifestation a pour objectif d'appeler à la réforme de la justice tout en envoyant un message clair aux autorités ainsi qu'au peuple tunisiens. «Cette marche a été décidée par l'assemblée générale de l'Ordre. Les revendications des avocats tunisiens dépassent le cadre personnel de l'affaire. La problématique est plus profonde. Plusieurs juristes et militants des droits de l'Homme partagent le point de vue de l'Ordre national des avocats de Tunisie qui aspire à une meilleure restructuration et une réforme approfondie de la justice», souligne Me Mahfoudh. Concernant les tentatives de médiation et de réconciliation déjà entreprises, le bâtonnier des avocats tunisiens a nié catégoriquement les rumeurs qui parlent d'«échec». «Toutes les initiatives et propositions de médiation sont en cours d'étude et l'instance provisoire de l'ordre judiciaire nous a contactés sur ce sujet et nous sommes ouverts à toute initiative qui pourra aboutir à des résultats réels et concrets», ajoute Mohamed Fadhel Mahfoudh. Complémentarité et fraternité à respecter Me Chawki Tabib, ancien bâtonnier de l'Ordre national des avocats de Tunisie, a rappelé que le barreau tunisien a toujours défendu l'indépendance du corps magistral tunisien. « Les avocats tunisiens ont toujours milité pour renforcer l'indépendance de la justice tunisienne. Rappelons que les avocats tunisiens sont les associés des magistrats pour une justice impartiale et équitable, et ce, dans un cadre de respect mutuel. Les rapports entre les juges et les avocats ont toujours été fidèles à une certaine tradition bâtie sur la complémentarité et la fraternité tout en respectant la loi», précise-t-il. Il renchérit : «Nous entretenons toujours l'espoir pour mettre fin à cette crise. Les magistrats et les avocats ont le droit d'exprimer leurs points de vue sur cette affaire par des moyens pacifiques, même si nous déplorons qu'il y ait eu recours à des grèves». De son côté, Me Abdelaziz Essid a salué l'esprit de solidarité qui s'est manifesté par une large participation des avocats à cette manifestation. «Comme vous le voyez, nous sommes assez nombreux, aujourd'hui, pour défendre la profession. Certes, nous voulons sortir de cette crise, mais pas à nos dépens», déclare-t-il. Sachons raison garder Quant à Me Monia El Abed, avocate et ancienne membre de l'Isie, elle pense que la dignité des avocats tunisiens a été entamée, ce qui justifie la tenue de cette marche de protestation. «Cette manifestation a pour objectif de préserver la dignité de l'avocat tunisien contre toute agression. Notre seul souci a toujours été de réformer la justice, car la crise touche son aspect structurel. La crise est profonde, ce qui nécessite une réforme drastique et sérieuse. Il ne s'agit en aucun cas d'une affaire de personnes ou d'une rivalité, nous voulons que la relation entre les magistrats et les avocats soit complémentaire», souligne-t-elle. Des propos soutenus par Me Abdennasser Laouini qui juge que cette mobilisation vient barrer la route à toute tentative d'abus de la part de certains juges. « Nous appelons tous les protagonistes à se réunir autour d'une table pour résoudre tous les différends qui les opposent dans un cadre de dialogue et du respect mutuel tout en traitant les vrais problèmes posés», mentionne-t-il. De son côté, Me Saïda Garrach regrette la tournure qu'a connue cette affaire. « Je suis parmi ceux qui ont joué un rôle de médiation et appelé à l'apaisement. Primo, l'indépendance de la justice nous concerne tous. Secundo, historiquement, les avocats ont toujours défendu ce principe et leurs confrères magistrats. Tertio, il est inconcevable que nos différends puissent dépasser un cadre raisonnable», claironne-t-elle. Elle conclut : «L'escalade qu'a connue cette affaire est un peu excessive, voire exagérée. Les magistrats et les avocats n'ont pas d'autres choix que de dialoguer».